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20/03/2022

A la veille d'une réélection annoncée...

 

Dans trois semaines, les urnes parleront, à moins qu’elles crient ou qu’elles sonnent creux, qui le sait vraiment ? J’ai, je l’avoue, du mal à suivre cette campagne qui n’en est pas vraiment une, plombée par les crises sanitaire et géopolitique qui affectent notre société au risque de l’émotion plus que de la réflexion. Douze candidats s’affrontent mais, à lire les médias et à suivre les sondages (même si sondage n’est pas suffrage), le président sortant ne sera pas sorti et il pourra, s’il obtient une majorité parlementaire de gouvernement, dérouler son programme libéral-démocrate dont il a, l’autre jour, évoqué les grandes lignes : la retraite à 65 ans, le déploiement de multiples champs d’éoliennes marines, le redémarrage nucléaire, l’autonomisation des établissements scolaires, etc.

 

Programme électoral qui mérite une lecture attentive et critique, non pour seulement dénoncer (il y a quelques propositions intéressantes (1)…) mais aussi pour mieux saisir la logique de celui-ci et de l’idéologie dominante et, électoralement par défaut sans doute, triomphante. Est-elle seulement libérale, comme le disent nombre de ses adversaires ? Je n’en suis pas si sûr, à bien y regarder, ne serait-ce que parce que les cinq années qui viennent de s’écouler ont aussi montré une forme d’étatisme assez désagréable qui confondait action légitime de l’Etat et centralisation abusive des décisions de celui-ci, au détriment des libertés concrètes et plurielles de notre nation française. La crise sanitaire des deux dernières années a montré une propension de l’Etat central à méconnaître les particularités provinciales et à imposer uniformément des politiques de restriction qui, parfois, n’avaient guère de sens et dévoilaient plus une panique ou une peur devant d’éventuelles poursuites judiciaires qu’une politique pensée et réfléchie : cela a abîmé l’image de l’Etat sans responsabiliser les citoyens, ce qui est, à plus ou moins long terme, dangereux, surtout au regard des défis qui attendent notre pays dans les années et décennies prochaines. Cette politique coercitive de l’Etat, qui n’est pas nouvelle en France mais a tendance désormais à tenir lieu de stratégie quand elle ne devrait être, pour prouver son efficacité, qu’une tactique temporaire et bien délimitée dans le temps, tend à un certain étatisme, le contraire apparent du libéralisme. « Apparent ? », s’étonneront certains : oui, car le libéralisme, dans l’histoire, s’est parfois marié avec un étatisme que, par facilité plus que par discernement, l’on nommait autoritarisme.

 

Durant son premier quinquennat (puisque les sondages semblent nous annoncer et nous condamner au second…), le président Macron s’est retrouvé face à de multiples oppositions dont certaines n’étaient que les conséquences de son libéralisme revendiqué : les Gilets Jaunes en ont été une synthèse « plurielle » qui n’a pas eu de débouché proprement politique malgré leur caractère éminemment politique. Sans doute parce que le caractère populaire de cette révolte (une insurrection ?) a disparu dans la fumée des affrontements et dans les ambiguïtés de celle-ci, aggravées par la tentative de récupération par ceux-là mêmes qui, à l’origine, avaient tenté de discréditer le mouvement de l’extérieur avant de le disqualifier de l’intérieur ; sans doute aussi parce que le gouvernement a joué sur cette « grande peur des bien-pensants » que Georges Bernanos n’a eu, jadis, de cesse de dénoncer avec des mots de passion et de colère, et qui a, une fois de plus, débouché sur « la radicalisation des modérés » maquillée en « maintien de l’ordre » quand l’Ordre, en définitive, avait déserté le camp de la République.

 

Et demain ? La réélection probable de l’actuel locataire de Mme de Pompadour ne mettra pas un terme aux soucis de la France et aux mécontentements des Français, et il n’est pas interdit de penser que nous entrons dans une période de turbulences sociales et politiques, sociales avant que d’être politiques sans doute, ce qui n’empêchera pas de penser « en politique » les enjeux d’une telle situation. La posture contestatrice, pour agréable qu’elle soit, est vaine si elle ne s’accompagne pas d’une proposition alternative construite : je ne suis pas un nihiliste mais un amoureux de la France, un « nationiste » selon l’heureuse formule de Pierre Boutang, et cela interdit de pratiquer la politique du pire qui, comme le soulignait Maurras (qui n’a pas toujours été le meilleur praticien de ses formules…), est « la pire des politiques ». En ce sens, un royaliste ne peut être un « émigré de l’intérieur » mais se doit de suivre les débats de notre temps, et s’engager pour les causes de la justice sociale et de la pérennité nationale sans attendre une Monarchie royale qui, si elle paraît nécessaire, est encore loin d’être une évidence pour nos concitoyens.

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Il nous faudra revenir, en particulier, sur la proposition d’une plus grande autonomie des lycées qui rejoint une vieille revendication (toujours actuelle) des royalistes, mais aussi sur le « retour » du nucléaire qui, là aussi, ne peut nous laisser complètement indifférents…

 

 

04/03/2022

Penser au-delà de la réélection de M. Macron...

 

Décidément, cette campagne présidentielle n’a rien d’une campagne électorale et, à écouter les discussions dans les cafés et restaurants, le président « absolu » (selon l’expression entendue l’autre jour au comptoir d’un bistrot dinannais) n’aura pas besoin d’endosser vraiment le costume de candidat pour être reconduit sur le trône élyséen. Bien sûr, le sondage ou le bavardage ne fait pas le suffrage, et l’histoire des démocraties contemporaines nous enseigne la nécessaire prudence à cet égard. Mais, pour l’heure et sous réserve des heures suivantes, rien ne semble devoir gêner la réélection de M. Emmanuel Macron dont le quinquennat en cours de s’achever n’aura pas été avare de crises, de surprises et de rebondissements, dans une folle farandole de morgue des hautes classes à l’égard des classes populaires et laborieuses, de mépris des surdiplômés à l’égard des travailleurs manuels et des « fumeurs de clopes », et de colères jaunes sans débouchés politiques (malheureusement, pourrait-on rajouter…). Sans doute la présidence Macron a-t-elle été une sorte de temps de convergence des colères et des ressentiments trop longtemps contenus dans le cadre du « pays légal », syndical ou politique, qui, jusque-là, avait réussi à encadrer les protestations sociales et, en définitive, à les stériliser (du moins, la plupart du temps…). Il est peut-être injuste, au regard de l’histoire, que ce soit M. Macron qui ait subi tout ce que ses prédécesseurs auraient sans doute mérité de subir, justement. Mais c’est ainsi ! Durant plus de quarante ans, les avertissements n’ont pas manqué, entre la montée des votes dits protestataires ; celle, simultanée, de l’abstention toujours plus marquée ; la dégradation des relations sociales et ces poussées de fièvre de plus en plus violentes et, parfois, inattendues ; les nombreux suicides d’agriculteurs et de toutes ces victimes de la mondialisation… Combien de livres pour alerter ? Christophe Guilluy, Emanuel Todd, Marcel Gauchet, Florence Aubenas, etc. remplissent les bibliothèques de leurs études érudites, de leurs témoignages et de leurs avertissements sans que rien, ou presque, ne change de ce qui était présenté comme le cours irrésistible de la mondialisation, et la réponse des élites était toujours la même : « il faut s’adapter »… C’est même, à tout simplement lire les manuels de géographie de Première, le message officiel, accolé à l’évocation (laudative, le plus souvent) de la mondialisation et de la métropolisation !

 

Puisque la réélection de M. Macron semble faite, quelles que soient les qualités des candidats et des programmes opposés à la politique de M. Macron (mais le plus important ne serait-il pas de proposer une alternative plutôt qu’une simple alternance ?), le mieux ne serait-il pas, sans forcément occulter le calendrier électoral (les législatives suivant la présidentielle, quelques semaines après), de préparer « la suite » ? Tout d’abord, même en période électorale, il est bon de s’intéresser aux questions « intemporelles » (qu’elles portent sur le plan environnemental, social ou politique) qui, elles, ne suivent pas le même calendrier démocratique, et de ne pas négliger les débats et les combats en cours qui, eux, ne s’arrêtent pas au dimanche de l’élection. Ainsi, non loin du Cap Fréhel, la construction d’un champ d’une soixantaine d’éoliennes marines se poursuit, malgré les craintes et les oppositions des habitants du littoral, et rien ne semble devoir l’arrêter, à moins d’une catastrophe naturelle ou d’un drame humain (et je ne souhaite ni l’un ni l’autre) ou, ce qui me siérait beaucoup mieux, d’une mobilisation telle que celle, jadis, contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff et d’un rapport de force qui deviendrait défavorable aux constructeurs ou au gouvernement qui les soutient par démagogie et intérêts plus que par raison et mesure. C’est maintenant qu’il faudrait monter cette « chouannerie-sur-mer », au moment où le locataire de Madame de Pompadour annonce, il y a quelques semaines, la possible construction d’une cinquantaine de champs d’éoliennes marines sur les côtes françaises ! Idem pour de nombreux chantiers qui aggravent l’artificialisation des terres sans respect pour l’environnement dont les paysages, en tant que tels, font partie.

 

La réélection de M. Macron entraînera, logiquement, la mise en place d’une réforme des retraites qui, il faut le dire, ne sera pas juste parce qu’elle se fera selon une logique « d’abord » comptable, quand il faudrait la penser selon une logique foncièrement équitable : le recul programmé de l’âge d’accès à la retraite, à 64 ans dans un premier temps (l’objectif étant, si l’on suit les recommandations de la Commission européenne, l’âge de 67 ans), risque d’ailleurs de heurter une population de travailleurs qui, aujourd’hui, ne se sent pas forcément bien au travail, ce qui est tout de même problématique. Quand le fait de travailler n’est plus qu’un ennui, le risque d’une moindre qualité de l’ouvrage existe (ainsi que le risque d’accidents, d’ailleurs), voire domine : oublier cette donnée simple est peut-être bien la cause de cette impression désagréable qui démotive ceux qui ne sont pas encore sur le marché de l’emploi et qui, parfois, se contentent de vivre de l’assistanat, autre nom de la « paresse subventionnée » et parasite de la véritable aide et assistance sociale, nécessaire à l’équilibre des sociétés constituées…

 

D’autres sujets de discorde et de colère pourraient bien s’inscrire au calendrier du prochain quinquennat : par exemple, les prix des énergies dont notre société, devenue « de consommation » (au risque de défaire la convivialité sociale nécessaire), est beaucoup trop dépendante, vont augmenter, sans doute durablement, et fragiliser les classes moyennes déjà renvoyées dans les périphéries des métropoles (le cœur de celles-ci leur étant devenu, du fait du prix du mètre carré, inaccessible ou, plutôt, inhabitable). Mais après le soulèvement des Gilets jaunes (soulèvement vain, en définitive, malgré les espérances qu’il a pu faire naître) qui a fait long feu, c’est désormais une forme de résignation qui paraît dominer malgré les quelques ronds-points encore (ou à nouveau) occupés. « Soumission » ou simple « Dormition » ? L’avenir nous le dira, sans doute assez rapidement.

 

Je crains que les prochaines années ne soient des années rudes, autant sur le plan économique que social : s’y attendre ne signifie pas s’y résigner, mais bien plutôt s’y préparer. Car, au-delà de l’attention aux colères et aux sentiments, il s’agit de proposer sans promettre ce qu’il serait impossible ou démagogique de tenir. Si la critique est toujours facile, l’art est, lui, beaucoup plus difficile et complexe : le simplisme ne fait pas une politique, il en est même la négation. Plutôt que de tout miser et s’épuiser sur une présidentielle (même si l’agitation des idées peut être utile et parfois bénéfique, au regard de l’opinion publique et de son information comme de son instruction, base de la réflexion et du débat argumenté), il me paraît plus approprié de travailler sur les pistes d’une politique de long terme et sur les institutions susceptibles de les valoriser et de les pratiquer… En ce sens, être royaliste n’est pas un handicap, mais la possibilité de penser nombre de sujets environnementaux, économiques et sociaux, en leur donnant un débouché éminemment politique : non une utopie, mais une espérance et un idéal symbolisés par une fleur, le lys…

 

 

 

 

 

01/03/2022

La tragédie russe. Partie 1 : Du communisme à la "Maison commune", le temps des occasions manquées.

 

Quand j’étais lycéen puis étudiant, la Russie était un monstre idéologique et géopolitique qui s’appelait alors l’URSS, ou Union Soviétique : le communisme restait tout-puissant, autant dans les écoles que dans les esprits, et Soljenitsyne ne fut pas très bien reçu par les intellectuels de Gauche lorsqu’il vint évoquer le goulag à l’émission littéraire de Bernard Pivot, au milieu des années 1970… De l’autre côté du rideau de fer, les chars frappés de l’étoile rouge manœuvraient sans entraves, et pouvaient compter sur la bienveillance d’une grande partie des mouvements qui se réclamaient, alors, du « sens de l’histoire » et qui, pour eux, ne pouvait aller que dans celui du communisme façon Lénine : être anticommuniste, et je l’étais, valait parfois quelques déboires à ceux qui en faisaient état au sein du lycée public et de l’université… L’Union Soviétique était, en somme, la patrie de ce « Grand frère » dénoncé par George Orwell. Bien sûr, il y avait, aussi, le souvenir de Stalingrad et de la défaite infligée par les Russes de Staline aux Allemands d’Hitler, mais il était surpassé par celui du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, plus proche. Et puis, la Russie avait aussi été le tombeau de la France de Napoléon quand, après la retraite de Russie, les cosaques étaient venus en 1814 à Paris faire boire leurs chevaux dans la Seine : de quoi faire du Russe un très vieil ennemi, heureusement lointain. Pourtant, il semblait partout où ce que nous nommions alors « l’Occident » reculait devant le « marxisme » : au Vietnam, en Angola, en Éthiopie, etc. Et nous en voyions aussi la main derrière la Chine de Mao (pourtant en froid avec Moscou depuis la mort de Staline), derrière les pacifistes allemands ou japonais qui manifestaient contre les troupes de l’Otan et les fusées états-uniennes, derrière les gauchistes, appellation usuelle pour évoquer tout extrémiste de gauche se référant aux « pères » de l’URSS ! Nous nous trompions largement (mais pas toujours : l’ouverture des archives soviétiques a permis de mieux saisir les liens étranges avec une part de l’extrême-gauche européenne, et les manipulations ourdies par Moscou.)

 

Et puis, l’Empire rouge s’est effondré, en moins d’une décennie : j’étais alors devenu royaliste sans renoncer à mon anticommunisme premier, désormais « secondaire » au regard de mes priorités politiques, et je croyais participer activement à cet effondrement par les opérations que nous menions, quelques amis fleurdelysés et moi, contre les symboles du communisme à Rennes et ses environs. Au printemps 1981, j’avais initié, dans le cadre des activités de l’Action Française que j’animais alors au lycée Chateaubriand, « l’opération Cobra » qui consistait à « nettoyer » Rennes de tout autocollant et de toute affiche du PCF et de Georges Marchais, alors candidat du dit parti à l’élection présidentielle : une opération fort réussie, du moins aux alentours du lycée et dans le centre-ville… De plus, plusieurs années durant, à chaque commémoration du 8 Mai 1945, j’allais décrocher l’immense drapeau soviétique rouge frappé de la faucille et du marteau qui trônait sur la mairie, et je le précipitais dans la Vilaine toute proche, ce qui me valut, un matin, une convocation à l’hôtel de police et la menace d’une lourde amende (1.600 francs de l’époque, je crois), suite à la plainte de la municipalité dirigée alors par le socialiste Edmond Hervé. Sans parler de ma participation aux manifestations pro-Solidarnosc de décembre 1981, ou de l’arrachage de drapeaux soviétiques dans un grand magasin de la rue Le Bastard dans lequel j’avais entraîné une bande de jeunes royalistes au moment de la répression russe contre les manifestants baltes, au début des années 1990… Jusque-là, la Russie restait l’ennemie, particulièrement sur le plan idéologique !

 

Et puis, le communisme européen a disparu, l’Union Soviétique aussi : la Russie, exsangue, sortait de l’époque totalitaire « léniniste », initiée dès 1917, et la « mondialisation du monde » paraissait finir l’histoire en l’inscrivant dans un nouvel ordre démocratique et capitaliste dirigé par les États-Unis et leur idéologie franklino-fordiste. Mais l’histoire n’est jamais finie, ne finit jamais, et les événements de ces derniers jours nous le rappellent à l’envi ! Elle est faite de joies, de retrouvailles parfois, de mémoires (qu’il est fort dangereux d’oublier, semble-t-il) mais aussi de rancœurs, de batailles, de passions mauvaises ou de guerres, les unes parfois se conjuguant avec les autres dans un ballet infernal dont il est difficile de connaître le terme. Celui qui oublie l’histoire et ce qu’elle peut signifier se condamne, non seulement à la revivre, mais à la revivre douloureusement, sans toujours comprendre vraiment ce qui (lui) arrive

 

La Russie, au sortir de « l’âge des extrêmes » évoqué par Eric Hobsbawm pour définir le « court » XXe siècle (1914-1991), a été pillée, dépouillée, humiliée par un Occident américanisé qui se vengeait des frayeurs qu’elle lui avait faites, un Occident qui, dans son arrogance malsaine, a semblé confirmer de la façon la plus terrible la formule grinçante de Georges Bernanos : « La Démocratie est la forme politique du capitalisme ». Et le bombardement « démocratique » de la « Maison blanche » (le parlement russe, dénommé alors Congrès des députés du peuple, et dominé par les « revanchards » hostiles au nouveau pouvoir « libéral ») par le dirigeant Boris Eltsine à l’automne 1993, fut applaudi par les Occidentaux, les mêmes qui parlent de la démocratie « à défendre » avec des trémolos dans la voix. Il y eut plusieurs centaines de morts, la Maison blanche fut incendiée, et « l’ordre démocratique » fut rétabli… C’est là, sans doute, que je commençais à m’intéresser de plus près à l’histoire de la Russie, reprenant les cours de mon maître Michel Denis qui, quelques années auparavant à la « fac de Villejean », m’avait fait découvrir une histoire contemporaine de la Russie (de 1812 aux années 1940) pas vraiment approfondie au lycée alors (1). Quand Vladimir Poutine s’imposa, la Russie, tombée au fond du gouffre, se releva peu à peu, devenant, en quelques années, une « puissance réémergente » : les oligarques, qui avaient fait la pluie et le beau temps sous l’ère Eltsine, furent, soit emprisonnés, soit intégrés à l’appareil de la puissance économique sans pouvoir interférer sur le politique. M. Poutine pouvait, alors, faire penser au jeune roi Louis XIV faisant embastiller Fouquet, l’homme le plus riche du royaume, pour asseoir son pouvoir et prévenir ceux qui auraient pu être tentés de s’opposer à lui. Oui, je l’avoue, cet exercice du pouvoir politique ne m’a pas déplu, loin de là, et je trouvais qu’il y avait là une certaine justice à vouloir faire rendre gorge à ceux qui avaient, littéralement et pas seulement symboliquement, affamés les Russes au début des années 1990 tout en trahissant la promesse de liberté que la sortie du communisme représentait.

 

En 2003, les États-Unis de George W. Bush voulurent que tous les pays européens les rejoignent dans la guerre contre l’Irak du dictateur laïque et nationaliste Saddam Hussein : la France de MM. Chirac et Villepin marquèrent leur désapprobation, et la grande presse occidentale se déchaîna contre la France, mise au ban des « Alliés » avec des termes qui laissent songeurs sur « l’amitié franco-états-unienne ». Pourtant, et malgré des pressions et des manipulations diverses et variées qui ne furent pas à l’honneur des États-Unis et de leurs vassaux européens d’alors, la France tint bon, et elle réussit à former, de façon temporaire, un véritable axe géopolitique Paris-Berlin-Moscou favorable à une solution négociée avec l’Irak plutôt qu’à une guerre dont, d’ailleurs, toute la région n’est jamais sortie, avec des conséquences jusque chez nous qui se firent plus que sentir en l’année 2015, un certain 13 novembre… Malheureusement, la plupart des pays de l’Union européenne choisirent le camp des Etats-Unis plutôt que celui de l’Europe, et le drapeau bleu étoilé flotta sur les bases espagnoles en Irak, entre autres, semblant inclure toute l’Union européenne dans ce qui fut un véritable bourbier et une véritable catastrophe autant géopolitique qu’humanitaire. L’idée d’une Europe-puissance, avancée par MM. Chirac et Villepin, resta lettre morte, sabotée par les États-Unis et leurs amis, et la proposition d’un cercle de réflexion stratégique russe de former une grande « Maison commune » européenne avec la Russie (déjà évoquée par M. Gorbatchev, je crois) ne fit que quelques lignes dans la presse, un jour de 2004 (2). L’arrivée au pouvoir de Mme Merkel en Allemagne (2005) puis celle de M. Sarkozy en France (2007) enterrèrent définitivement cette politique d’indépendance européenne : le temps de la construction d’une Europe souveraine et éventuellement respectueuse des souverainetés nationales était passé, et il n’est pas certain qu’une nouvelle occasion se présente en ce siècle, même si l’histoire nous enseigne, aussi, que l’imprévisible n’est jamais complètement impossible… En tout cas, cela ne se fera pas du vivant de M. Poutine ! (3)

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

 

Notes : (1) : Si l’on ouvre aujourd’hui les manuels d’histoire de collège et de lycée, l’on n’y trouvera guère de traces de cette histoire russe (encore moins que lorsque j’étais lycéen) à part pour évoquer la défaite de Napoléon en 1812 face au « général Hiver » et le XXe siècle, de la révolution de 1917 à la chute du communisme…

 

(2) : A l’époque, je n’ai lu qu’un articulet, minuscule, dans La Croix… dont je regrette de ne pas avoir gardé la référence, d’autant plus que j’avais trouvé l’idée intéressante. Ce qui m’a toujours surpris et, au bout du compte, énervé, c’est que l’Union européenne n’en a jamais saisi l’occasion, au moins pour en débattre. Quelques années plus tard, le commissaire européen Pierre Moscovici expliquait doctement que la Russie n’était pas européenne quand, dans le même temps, il soutenait l’entrée de la Turquie dans l’UE : une incohérence que peu de journalistes relevèrent alors…

 

(3) : Quand j’écris « du vivant de M. Poutine », je veux surtout signifier que sa présence même au Kremlin empêche cette possibilité d’une « Maison commune » européenne, au regard de la haine et du ressentiment qu’il suscite dans les pays européens et occidentaux : de plus, les États-Unis, de par leur russophobie traditionnelle (sans doute conjuguée avec une « asiaphobie » instinctive et ancienne (3bis), à ne pas sous-estimer)

 

(3bis) : Que l’on se souvienne du sort réservé aux migrants chinois et japonais à la fin du XIXe siècle-début XXe siècle aux États-Unis et aux lois d’exclusion de ceux-ci de l’entrée sur le territoire fédéral, respectivement en 1882 et en 1907, sans parler du traitement réservé aux Japonais des États-Unis entre 1941 et 1945 (voire au-delà…).