09/11/2008
La misère d'il y a un siècle...
Je suis en train de préparer les études de documents pour les Devoirs surveillés de Seconde et de Première des deux prochaines semaines et, sur certains thèmes, le choix n’est pas facile, eu égard à la masse de documents écrits comme iconographiques. Mais certains documents du programme d’histoire de Première rejoignent étrangement (quoique, est-ce si étrange que cela ?…) ceux du programme de géographie de Seconde, en particulier ceux qui concernent la situation des prolétaires des pays en cours d’industrialisation au XIXème-début XXème siècle et ceux qui témoignent de la situation actuelle de certains pays du Sud.
Ainsi, ce texte d’un de mes écrivains préférés (que j’ai véritablement découvert il y a onze ans grâce à H.), Jack London, extrait de ce livre-reportage « Le peuple de l’abîme » qui décrit les bas-fonds de la capitale du monde industriel d’alors, Londres, en 1902, au moment même du couronnement du successeur de la reine Victoria, Edouard VII, texte qui n’est qu’un exemple parmi d’autres et que l’on pourrait rapporter à d’autres lieux mais aussi à des temps si proches qu’ils pourraient bien être, malheureusement, contemporains : « Cinq minutes de marche [à Londres] vous conduiront à un quartier sordide. Mais la région où s’engageait ma voiture n’était qu’une misère sans fin. Les rues grouillaient d’une race de gens complètement nouvelle et différente, de petite taille, d’aspect miteux, la plupart ivres de bière. Nous roulions devant des milliers de maisons de briques, d’une saleté repoussante, et à chaque rue transversale apparaissaient de longues perspectives de murs et de misère. Cà et là, un homme ou une femme, plus ivre que les autres, marchait en titubant. L’air même était alourdi de mots obscènes et d’altercations. Devant un marché, des vieillards des deux sexes, tout chancelants, fouillaient dans les ordures abandonnées dans la boue pour y trouver quelques pommes de terre moisies, des haricots et d’autres légumes, tandis que de petits enfants, agglutinés comme des mouches autour d’un tas de fruits pourris, plongeaient leurs bras jusqu’aux épaules dans cette putréfaction liquide, pour en retirer des morceaux en état de décomposition déjà fort avancée, qu’ils dévoraient sur place. » N’est-ce pas ce que décrivent, aujourd’hui encore, les associations humanitaires qui travaillent courageusement dans les bidonvilles des grandes villes de l’Afrique et de l’Asie, voire de l’Amérique du Sud ? Un siècle après ce témoignage de Jack London, malgré tous les progrès techniques, comment se fait-il que notre monde connaisse encore de telles situations de misère humaine ?
Jack London incriminait le système capitaliste et avançait des solutions politiques dont il n’a pas vu, mort trop tôt, la réalisation et l’échec final et sanglant… Cela ne me semble pas enlever à l’écrivain le mérite d’avoir témoigné des situations insupportables liées à l’égoïsme de quelques uns et d’un système qu’ils ont bâti, qui ont oublié le sens du partage et de l’entraide : s’il y a urgence à le relire, il y a tout autant urgence à agir pour faire reculer, en notre pays comme ailleurs, les situations inacceptables d’une misère subie. Urgence sociale, urgence politique ! Encore faudrait-il, au sommet de notre Etat, un homme qui porte des valeurs qui, sans forcément être « républicaines », soient celles d’un humanisme conscient et soucieux de n’oublier personne. Bien sûr, il y aura toujours des pauvres dans notre pays, mais il s’agit de ne pas les abandonner, de leur offrir les moyens de sortir, par leur travail et par leurs capacités, de leur situation précaire, sans pour autant en faire des assistés. Vaste programme, mais nécessaire… Mais est-ce une politique « électorale » ou, bien plutôt, un « devoir royal » ?
13:56 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : misère, londres, jack london, industrialisation.
08/11/2008
Définition et dénonciation maurrassienne du libéralisme.
Ce matin, j’évoquais avec ma classe de 1ère S les « alternatives sociales et politiques au libéralisme », dans le cadre du cours sur les sociétés à l’époque des révolutions industrielles, et j’ai développé la première partie qui portait sur « Traditionalisme et catholicisme social », avant de traiter au prochain cours « les syndicalismes », puis « les socialismes utopiques et le marxisme ». Je débutais cette partie par une tentative de définition du terme même de « libéralisme », en rappelant qu’il n’y avait pas qu’une seule définition ou conception possible, et qu’il fallait se méfier des « réflexes » qui font détester ce terme ou cette idéologie en se fondant sur le seul moment présent et sur les emballements médiatiques qui voient des journalistes brûler ce qu’ils ont hier adoré…
Cela m’a donné l’idée de rééditer la note ci-dessous, rédigée il y a deux ans, dans laquelle j’évoquais déjà ce thème :
Aujourd’hui, la simple évocation du mot « libéralisme » provoque des réactions plus passionnelles que raisonnées : les uns y voient la cause de tous nos malheurs, les autres la solution aux blocages de notre société ou, plus simplement, l’expression politique et économique de la « Liberté ». J’entends les uns et les autres, et il me semble nécessaire de préciser quel sens je donne à ce terme quand il m’arrive de l’employer, cela pour éviter des malentendus sur ce que je pense, malentendus qui peuvent gêner le bon déroulement des débats.
Si l’on s’en tient à la définition classique, le libéralisme est la théorie, politique et/ou économique, qui place la Liberté au principe de tout et, en particulier, de la vie individuelle comme sociale. En somme, elle peut s’entendre comme une forme d’individualisme étendue à toutes les activités humaines. En fait, dans la réalité, la théorie est souvent « aménagée », limitée même par les données historiques, politiques, économiques et, tout simplement, humaines. Et les penseurs libéraux les plus intéressants (comme Tocqueville ou Aron), d’ailleurs, sont fort conscients des ambiguïtés de cette idéologie mais aussi de la simple évocation du terme…
Cela étant dit, je reste plus que réservé à l’égard du libéralisme et je fais miennes les critiques que Maurras avance dans le court texte souvent reproduit : « Libéralisme et libertés », dans lequel il s’en prend au libéralisme et au mythe de la « liberté-principe » au nom des libertés plurielles, en particulier dans le domaine économique : « Dans l’ordre économique, la liberté-principe veut que la concurrence des libertés individuelles, d’où le bien doit sortir inévitablement, soit œuvre sacrée. Il n’y a qu’à laisser faire et à laisser passer. Toute intervention de l’Etat ou de la société mérite le nom d’attentat et presque de profanation. Le statut du travailleur doit donc être individuel. Autant par respect pour sa liberté propre que par vénération de la mécanique du monde, l’ouvrier doit respecter les injonctions du décret Le Chapelier et s’interdire sévèrement toute association, corporation, fédération, tout syndicat d’ordre professionnel, de nature à troubler le libre jeu de l’offre et de la demande, le libre échange du salaire et du travail. Tant pis si le marchand de travail est un millionnaire maître absolu du choix entre 10 000 ouvriers : liberté, liberté ! La liberté économique aboutit donc, par une déduction rapide, à la célèbre liberté de mourir de faim. J’oserais l’appeler une liberté négative, abstraite ; mieux : une liberté soustraite. Toute liberté réelle, toute liberté pratique, tout pouvoir libre et certain de conserver sa vie, de soutenir sa force, est refusé à l’ouvrier tant qu’on lui refuse la liberté d’association. » Cette analyse reste d’une étonnante actualité comme me le signalait il y a peu un ami revenant de Chine et ayant vu « l’envers du décor » de la croissance chinoise, et comme on peut aussi le lire dans le livre de Philippe Cohen et Luc Richard (dont je conseille vivement la lecture) « La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? ». Cela ne veut pas dire que je sois pour le dirigisme d’Etat ou l’étatisme, véritable tyrannie de l’Etat sur la société et ses citoyens, mais je reste attaché au rôle d’un Etat capable de corriger les excès de l’économie et de garantir les libertés et les droits des travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants. En somme, je suis pour un juste équilibre entre la libre initiative et l’action protectrice de l’Etat quand elle s’avère, en dernier recours, nécessaire.
Pour ce qui est du libéralisme politique, sans doute serai-je moins sévère que Maurras à l’égard, non pas tellement du libéralisme proprement dit que de certains penseurs libéraux, ou considérés tels, qu’ils s’agissent des monarchiens de 1789 (partisans de la Monarchie constitutionnelle, voire parlementaire) ou de Constant, Tocqueville, Aron, ou Pierre Manent, un « libéral-conservateur » contemporain fort intéressant. Cela ne signifie que je sois tocquevillien ou aronien, mais seulement que je considère que leur pensée ouvre quelques perspectives qui méritent attention et débat.
Il est, en particulier, une question que François Huguenin aborde dans son livre « Le conservatisme impossible » paru il y a quelques mois et qui me semble très intéressante, c’est celle du dialogue (inachevé ou manqué ?) entre les « traditionalistes » et les « libéraux » en France, et, question annexe à laquelle il n’est pas encore répondu, celle d’une synthèse (possible ou impossible ?) entre l’Etat monarchique fort et les aspirations politiques libérales… En somme, une forme de « Monarchie aronienne » ?
14:22 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : libéralisme, traditionalisme, maurras, liberté, économie.
05/11/2008
La victoire d'Obama.
L’enthousiasme est un moteur de l’Histoire : l’élection de Barack Obama en est la preuve aujourd’hui et il ne faut pas le méconnaître pour comprendre les perspectives que cela ouvre. Avec cette élection et la ferveur populaire qui entoure le candidat élu, se manifeste la réactivation du « rêve américain », cette sorte de fascination pour les Etats-Unis, pays neuf où tout semble possible : c’est un avantage pour le nouveau président qui aura la lourde tâche de rétablir l’image de son pays dans le monde, non plus seulement par l’espoir qu’il a fait naître mais par les actes concrets d’une politique que, ennemis comme alliés des Etats-Unis, souhaitent, tous de façon particulière (et parfois antagoniques…) bien sûr. Ainsi, « l’obamania » peut servir de vecteur à la géopolitique (comme à la politique intérieure, d’ailleurs) et permettre au « nouveau César de l’Empire » (j’emploie à dessein cette formule liée à la Rome antique) d’avancer ses pièces dans le grand jeu mondial, ce jeu des risques et des espérances. Autant je suis agacé par l’obamania qui a sévi en France au risque d’oublier les réalités et les nécessités françaises (lire ma note précédente sur ce thème, datée du 1er novembre), autant il serait dangereux au niveau plus « mondial », pour comprendre les enjeux et les stratégies futures, de la négliger : elle est devenue à son tour une réalité, peut-être fugace mais bien visible pour l’instant et couronnée par les lauriers d’une victoire qu’il aurait été difficile d’annoncer il y a encore un an…
D’autre part, cette élection est importante pour comprendre ce trait que Bainville évoquait pour la France quand il disait qu’elle est, mieux qu’une race ou qu’une ethnie culturellement homogène, un « composé », une nation. Malgré le communautarisme traditionnel dans les pays anglo-saxons, les Etats-Unis, longtemps dominés par les élites « wasp » (white anglo-saxon protestant), viennent de tourner cette page de leur histoire qui s’était trop longtemps confondue avec le racisme, la ségrégation mais aussi l’extermination comme ce fut le cas pour les Indiens d’Amérique, encore oubliés malgré leur présence première sur le territoire actuel des Etats-Unis… Il n’est pas indifférent de constater combien la campagne de Barack Obama accordait une place primordiale à la notion d’ « unité » : ce n’était sans doute pas une simple formule électorale mais, plus profondément, une réflexion sur ce qui doit permettre à une nation d’exister, d’être au sens fort du terme. Il y a des leçons à en tirer, au-delà des différences historiques et politiques bien sûr, pour notre propre nation, pour notre propre conception de la politique, de l’Etat même : l’unité, c’était aussi, à bien le relire, une obsession de Maurras, mais qu’il sublimait en prônant l’incarnation de cette unité en la magistrature suprême de l’Etat, par la personne du souverain…
10:08 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : obama, etats-unis, obamania, unité, wasp, ferveur, maurras.