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10/07/2012

Mondialisation et profit.

 

Nous étions quelques collègues d'histoire à déjeuner vendredi dernier et à évoquer l'actualité récente et, en particulier, les plans sociaux qui se succèdent, du site d'Aulnay-sous-Bois à celui de Rennes pour l'entreprise PSA par (triste) exemple, et qui risquent de laisser des milliers de travailleurs, ouvriers ou ingénieurs (entre autres), sur le carreau... Le Monde, dans un article récent, évoquait les 60.000 victimes à brève échéance de ces fameux plans sociaux, si mal nommés quand on y réfléchit bien...

 

Un de mes collègues, sans se prononcer sur la valeur même de la mondialisation en grande partie à l'origine de ces drames sociaux de fermetures d'usines françaises, y voyait une fatalité inéluctable, dans le sens de l'histoire économique, et contre laquelle, du coup, il était vain de lutter : tel n'était évidemment pas mon avis, et je me suis employé à lui démontrer qu'il n'était pas vain de se battre pour éviter une mondialisation qui ne profite qu'à quelques uns au détriment de beaucoup d'autres.

 

Entendons-nous bien sur le sens de mon propos : je ne confonds pas la mondialisation avec le simple mouvement d'internationalisation des relations humaines et d'échanges, ou avec la découverte de terres et de cultures différentes. La mondialisation, c'est beaucoup plus que cela, et sans doute de nature fort différente si certaines formes peuvent prêter à confusion : c'est bien plutôt un système et une idéologie qui s'appuient sur l'ouverture du monde pour le transformer en une seule entité globale, « fluide » et « immédiate », au risque d'en nier les spécificités particulières ou de les transformer en simples arguments industriels ou commerciaux. Dans cette mondialisation, l'Argent s'est rapidement imposé comme la seule référence, faisant des critères de productivité, rentabilité ou profitabilité les arguments majeurs et seuls « légitimes » (sic !) de l'activité économique des sociétés et des hommes... Le résultat est la recherche permanente du profit, souvent égoïste, au détriment des hommes et des sociétés priés de « s'adapter » aux nouvelles règles, celles-là mêmes qui refusent justement que les Etats puissent en édicter pour limiter la mondialisation et son extension à tous les domaines de la vie sociale, voire individuelle.

 

Là encore, une précision s'impose : je ne suis pas de ceux qui condamnent « le profit » par principe, mais je considère trois éléments : la manière dont il est créé, et ce qu'il en est fait, mais aussi s'il est mesuré ou s'il est déraisonnable au regard des réalités sociales du lieu et du moment. Si le profit passe par l'exploitation des uns pour le bonheur des autres, souvent beaucoup moins nombreux que les précédents, je ne peux l'accepter sans récriminer ; s'il n'est utilisé que pour la satisfaction de quelques uns et dans le rejet des autres ou leur misère, je ne peux l'accepter, au nom d'une justice sociale qui, à mon sens, doit primer pour garantir l'équilibre des sociétés humaines ; s'il est « l'hubris » (la démesure) et écrase les hommes comme il détruit l'environnement ou les héritages humains (traditions, au sens actif et parfois critique du terme...), il est condamnable, purement et simplement... A l'inverse, s'il se conjugue avec l'honnêteté, la juste valeur du travail accompli, la justice et le partage, avec l'amélioration de la condition humaine, sociale ou environnementale, il est utile et tout à fait légitime !

 

Contrairement à mon collègue, sans doute à la fois fataliste et trop optimiste sur les possibilités de la mondialisation à améliorer les choses, je pense qu'il faut réfléchir et agir sans hésiter à aller à contre-courant de ce qui se veut « le sens unique de l'histoire » : il ne faut pas oublier que, selon les époques, ce fameux sens de l'histoire a sacrément varié, entre le paradis scientiste et colonialiste des hommes du XIXe et le paradis socialiste promis par Marx et ses épigones du XXe, sans oublier cette « fin de l'histoire » (sic !) que nous annonçait triomphalement Francis Fukuyama au début des années 90 et qui a fait long feu depuis, perdue dans les gravats des tours du World Trade Center et dans les mausolées dévastés de Tombouctou...

 

La mondialisation n'est pas une fatalité car il n'y a pas un sens unique de l'histoire, il n'y a que l'histoire qui, elle aussi, ne sait pas toujours où elle va...

 

 

(à suivre : la mondialisation heureuse, un mythe ?)

 

09/07/2012

L'amitié franco-allemande.

 

L'amitié franco-allemande est un bienfait, même si elle n'est pas toujours un fait avéré, en particulier en ces temps de crise et de cartes rebattues en Europe (ce qui n'est pas, en soi, nouveau...), et il est bon que la France et l'Allemagne, à travers leurs dirigeants respectifs aient rappelé ce dimanche le cinquantenaire de cette amitié née d'abord de la rencontre de deux grandes et fortes personnalités qui, l'une et l'autre, connaissaient leur histoire et savaient la force des symboles et des gestes, le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer. Autant les actes fondateurs de la construction européenne, de la création de la CECA (en 1951) au traité de Rome (en 1957) apparaissaient comme des textes sans âme, trop technocratiques pour susciter autre chose qu'un enthousiasme froid, artificiel, autant la rencontre de deux êtres de chair et de sang, enracinés dans des histoires nationales parfois douloureuses et sanglantes, au cœur d'une ville qui fut celle du sacre des rois de France avant d'être la martyre symbolique de la guerre de 1914-1918, a marqué les esprits : l'amitié franco-allemande s'incarnait à ce moment précis où de Gaulle et Adenauer se recueillaient en la cathédrale, en appelant d'une certaine manière (et le choix du lieu n'était sans doute pas anodin) à une légitimité supérieure pour sceller ce « pacte » entre les deux adversaires de la veille...

 

Sans cette incarnation, l'amitié franco-allemande aurait-elle été autre chose qu'un voeu pieux porté par des gens raisonnables et sérieux, sortes de « cornichons sans sève » tels que les moquaient Bernanos dans les années 30-40 ?

 

L'amitié n'est pas la compromission, elle est parfois la rude franchise de gens différents (elle est exigeante pour être vraie), et il est bon de savoir garder sa liberté (qui n'est pas l'isolationnisme...) à l'égard de ses propres amis pour, parfois, mieux les sauver d'eux-mêmes ! D'ailleurs, de Gaulle n'a pu initier cette amitié franco-allemande que parce qu'il l'appuyait sur deux nations différentes et décidés à s'entendre plutôt que sur des cadres techniques ou des zones économiques désincarnées ou anhistoriques, ce que n'avaient pas compris les Monnet et autres Schuman qui, il faut bien le rappeler, n'ont guère fait avancer, concrètement et sentimentalement (sans doute le plus important dans cette histoire), la réconciliation entre les deux pays issus de la division ancienne, par le traité de Verdun de 843, de l'empire carolingien.

 

Aujourd'hui, l'Allemagne est la principale puissance économique de l'Union européenne et elle se verrait bien comme directrice des destinées européennes : il n'est pas sûr que cela soit souhaitable ni même convaincant. Seule et trop sûre d'elle-même au point d'en oublier ses devoirs en Europe, l'Allemagne risquerait de se perdre dans un rôle trop grand pour elle : au contraire, dans une alliance forte avec la France, l'Allemagne inquiète moins et limite ses ambitions propres en les ordonnant au bien commun européen, qu'il s'agit parfois encore de définir pour éviter tout malentendu sur le continent.

 

L'amitié de la France et de l'Allemagne est un bienfait, disais-je, mais elle n'est pas la seule amitié que la France doit entretenir en Europe et au-delà : celle-ci ne pourra être l'amie des autres puissances qu'en maintenant et renforçant sa propre puissance, nécessaire pour que les liens qu'elle a noué et qu'elle peut nouer encore avec d'autres, soient eux-mêmes solides. Et c’est aussi en « faisant de la force » que la France pourra concrètement peser sur les choix que feront ses partenaires, et non en voulant s’abandonner dans des constructions chimériques ou en brandissant de grands principes pour mieux ensuite les renier, faute de moyens pour les faire respecter…

 

 

04/07/2012

Les mausolées de Tombouctou.

La destruction par des salafistes maliens des mausolées et des anciennes mosquées de Tombouctou soulève l'indignation en France comme dans de nombreux pays africains et musulmans, et beaucoup y voient une marque d'obscurantisme, ce qu'elle est indéniablement, sans aller plus loin ni dans la mémoire ni dans la réflexion. Or, pratiquement au même moment, des promoteurs, pour « débloquer » un chantier gêné par des recherches archéologiques, faisaient détruire à coup de bulldozers les vestiges du port phénicien de Beyrouth, au Liban, ce qui n'a guère provoqué de débat et a juste coûté à l'entreprise dévastatrice une amende équivalente à environ 50.000 euros, somme absolument dérisoire au regard de celles engagées pour le chantier des promoteurs et de ce que va leur rapporter, par mètre carré, le lieu ainsi « libéré » d'une histoire encombrante... Que valent 3.000 ans d'histoire face aux centaines de millions d'euros que va rapporter ce chantier aux financiers et aux constructeurs ? Ainsi, l'avidité libérale peut être aussi vandalisatrice que la fureur islamiste !

 

Un article fort intéressant paru dans Libération, mardi 3 juillet 2012, tente d'expliquer les motivations des destructeurs de Tombouctou et rappelle qu'elles sont identiques à celles des talibans qui, en mars 2001, ont détruit à l'explosif les bouddhas de Bamiyan et brûlé environ 55.000 livres rares à Kaboul : « ce crime [ en Afghanistan] ne résulte nullement d'un coup de folie. Il avait été totalement prémédité, ayant même fait l'objet de discussions au sein de la Choura (grand conseil) qui regroupe les chefs du mouvement. (...) La destruction des bouddhas de Bamiyan s'inscrit dans la droite ligne d'un courant iconoclaste qui existe depuis la naissance de l'islam. Il se fonde notamment sur une sourate du Coran exhortant les fidèles à guerroyer les statues, assimilées à des idoles. (...) En Afghanistan, les mausolées des saints avaient été ostracisés par les talibans mais pas détruits. A Tombouctou, Ansar ed-Dine les a détruits purement et simplement, le culte des saints étant assimilé à de la superstition. » La destruction des tombeaux et la dispersion des ossements par les fondamentalistes apparaît, aux yeux des salafistes, comme un acte profondément religieux de « purification » et, au-delà, de volonté de rompre avec un « passé impie », avec ce qui représente pour eux une hérésie inacceptable au regard de la foi qu'ils prétendent incarner le plus concrètement possible...

 

Ce n'est pas une attitude réservée aux fondamentalistes salafistes, et l'histoire même de notre pays nous le confirme aisément, comme ces propos du républicain révolutionnaire Rabaut Saint-Etienne qui déclarait « Notre histoire n'est pas notre code » et ajoutait, comme l'a rappelé Alain Finkielkraut devant les élèves de Polytechnique à l'automne 2011 : « Tous les établissements en France couronnent le malheur du peuple. Pour le rendre heureux, il faut le renouveler, changer ses idées, changer ses lois, changer ses mœurs, changer les hommes, changer les choses, changer les mots... Tout détruire ; oui, tout détruire puisque tout est à recréer. ». Cette double politique de la purification et de l'amnésie organisée, au nom du monde à construire et de la pureté, révolutionnaire ou religieuse, est effectivement et forcément destructrice, et porte en elle ce que nous appelons vandalisme : la Révolution française, d’ailleurs, fut sans doute la période la plus iconoclaste de toute l'histoire de France du dernier millénaire, voire au-delà, et notre patrimoine en porte encore les stigmates. ou en rapporte le souvenir à travers son étude... Lorsque la République, par la voie de la Convention, décide de s'en prendre aux tombeaux des rois à Saint-Denis ou que les sans-culottes de Quimper dévastent la cathédrale Saint-Corentin tout en profanant les tombes qui s'y trouvent et en brandissant les crânes ainsi découverts au bout de piques, c'est toujours la même logique qui est à l’œuvre !

 

Mais aujourd'hui, nos pays, pourtant éloignés des fureurs maliennes, sont-ils à l'abri d'une telle politique dévastatrice ? Au regard des programmes scolaires et des manuels d'histoire, mais aussi d'une idéologie dominante qui impose une sorte de repentance permanente et ne raisonne plus qu'en termes de « droits de l'homme » au risque de ne pas comprendre notre histoire réelle, nos nations, aussi anciennes soient-elles, risquent l'amnésie et sont menacées de voir s'effacer des pans entiers de ce qui forme, en définitive, notre « vivre-ensemble ». Le risque n'est pas moindre que celui des destructions de Tombouctou : il s'agit ici, avec une société de consommation qui réduit tout à la marchandise ou indexe la liberté individuelle à la valeur financière, d'un effacement silencieux de nos « mausolées de la mémoire » au profit d'un individualisme consumériste, d'une immédiateté de la jouissance qui n'est rien d'autre qu'une forme d'addiction à la possession, à « l'avoir » au détriment de « l'être ». Il serait périlleux de négliger cette tendance lourde de nos propres sociétés trop communicantes « ici et maintenant » pour savoir encore transmettre à travers les générations qui se succèdent… La transmission prendra d’autres voies, faut-il espérer !

 

Quant à la situation au Mali, il ne faut pas se leurrer : malgré les rodomontades de l’UNESCO et des autorités légales de ce pays, Tombouctou, « la perle de l'islam », va sans doute perdre la plupart de ses trésors architecturaux et, au-delà des tombeaux et des mosquées, l'inquiétude concerne désormais les bibliothèques et les milliers de manuscrits multiséculaires qui risquent, eux aussi, de faire les frais de la rigueur doctrinale des salafistes... Quelques uns seront sauvés, certes, et, l'histoire ne s'arrêtant jamais, d'autres seront écrits et s'ajouteront à leur tour aux trésors de l'humanité, montrant par là-même la victoire constante de la vie sur les idéologies mortifères... Il y aura aussi, comme dans le roman d'anticipation de Ray Bradbury, « Fahrenheit 451 », des hommes et des femmes qui se transmettront les trésors d'hier par le souvenir et la parole...

 

Mais, pour l'heure, quel désastre et quelle pitié ! Cela doit nous inciter, nous-mêmes, à cultiver notre patrimoine, à l'entretenir, à le vivre sans exclusive, au-delà des illusions et des loisirs de la société de consommation : un arbre ne monte haut sans risquer la chute lors des tempêtes que lorsque ses racines sont profondes...