05/09/2008
République bananière ?
M. Bernard Tapie a touché aujourd’hui un chèque de 198 millions d’euros dont 45 millions au titre du « préjudice moral » subi… Ainsi, le scandale Tapie continue, scandale autant moral que politique : sur RTL, un participant à l’émission du soir dénonçait ce qu’il nommait le plus gros scandale de la Ve République, en rappelant que les sommes généralement versées au titre de préjudice moral subi, que cela soit pour les victimes de l’amiante ou des accidents ayant entraîné des séquelles graves aux personnes, ne dépassaient que rarement quelques milliers d’euros. Quant aux ouvrières de l’entreprise Wonder, à qui M. Tapie avait promis monts et merveilles, qu’ont-elles touchées, à part le chômage et le désespoir ?
Nous sommes vraiment dans la République des coquins mais aussi dans celle des copains : ainsi, cette même semaine, le responsable de la sécurité en Corse est « muté », au titre de sanction, pour ne pas avoir empêché une manifestation de séparatistes corses de se terminer en occupation du jardin avec piscine de la villa de l’acteur Christian Clavier, un proche ami du président de la République… Comme si cette manifestation politique, dont je ne prise guère les motivations, était pire que tous les attentats qui endeuillent régulièrement l’île de beauté ! Quelle tristesse !
Mais attention : j’entends, au comptoir des cafés et dans les salles de profs, dans les allées des marchés et sur les digues des ports, des paroles qui expriment cette colère qui, sourdement mais de plus en plus distinctement, monte parmi nos concitoyens. Des paroles cassantes, vives, nerveuses, parfois méchantes et injustes ; des ressentiments, des jalousies, diraient certains ? Sans doute mais pas seulement : il y a une forme de désespérance qui monte contre une République qui semble cultiver l’injustice et le mépris à travers, pas tellement des discours, mais des pratiques dignes d’une République bananière, et qui paraît comme un « régime de classe », pour reprendre une terminologie marxiste dont on pourrait croire, parfois, que M. Sarkozy fait tout pour qu’elle trouve une justification. Du coup, les discours démagogiques d’un Besancenot trouvent un écho de plus en plus favorable parmi la population, ce dont il n’est pas certain qu’il faille se réjouir, ne serait-ce qu’au regard des idées et des propositions défendues par le nouveau parti anticapitaliste en gestation.
Dans ces heures qui précèdent des tempêtes que j’attends autant que je les crains, je relis, chaque soir, des pages de ce chouan de plume que fut Georges Bernanos et auquel le journal Libération vient de consacrer un bel article (dans son édition du 2 septembre dernier) : il mettait très haut la justice sociale dont il rappelait que la Monarchie capétienne fut l’ardente servante parce qu’elle en avait le devoir et que c’était son honneur. Sa colère contre les abus et les trahisons de la « bourgeoisie égoïste » est un cri de rage, mais c’est aussi un cri d’espérance et, s’il brandit le flambeau de révolte, ce n’est pas pour incendier le monde mais pour l’illuminer, lui rendre la lumière et, d’une certaine manière, en chasser les pénombres douteuses de cette cryptocratie de l’Argent qui se pare aujourd’hui du bonnet phrygien et de la bannière bleue étoilée. Il est de saintes colères…
23:21 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tapie, sarkozy, colère, bernanos, république.
02/09/2008
Rentrée scolaire.
La rentrée est faite et mon lycée a retrouvé son activité habituelle, avec ses traditionnels embouteillages dans les couloirs et les escaliers, ses profs aux bras pleins de bouquins et de polycopiés, ses élèves un peu inquiets à l’aube d’une nouvelle année, parfois déterminante pour certains d’entre eux. Quant à moi, j’ai repris mon rythme ordinaire, entre les cours, les lectures et préparations, les nombreuses discussions dans les couloirs ou dans les salles de profs : une routine qui n’en est pas vraiment une, dans le sens où mes interlocuteurs sont fort divers et souvent très intéressants, et que les sujets abordés sont eux aussi très variés.
Bien sûr, il y a les rumeurs de réforme et les craintes devant les changements proposés par le rapport Pochard cet été : toutes ne sont pas fondées, même si certaines inquiétudes me semblent légitimes. En fait, la volonté de « rentabiliser » l’école de façon plus comptable que scientifique ou littéraire a de quoi susciter une certaine révolte, mais encore ne faut-il pas se tromper de cible ni de raison. Je reste plus que sceptique quand certains syndicats n’évoquent que la question des moyens ou celle des revenus des enseignants : sans être complètement anodines, elles ne fondent ni une contestation ni une politique.
Ce qui m’inquiète beaucoup plus, ce sont les motivations de la politique menée par M. Darcos, et ses conséquences : cette uniformisation à marche forcée (baptisée « harmonisation ») vers un seul système valable d’un bout à l’autre de l’Europe, voire de l’Occident, est l’abandon d’une manière bien française de concevoir le rapport à la culture, et marque le ralliement à la seule idéologie de l’Avoir au détriment de l’Etre, des diversités culturelles et éducatives, de nos traditions et de notre manière de concevoir le monde. La volonté d’imposer, par l’éducation, le « bilinguisme », en fait l’acceptation finale de la domination de la langue anglaise (ou plutôt de sa forme simplifiée et commerciale, déjà « popularisée » près des jeunes générations par le biais de la Toile) en France, est révélatrice de cette nouvelle « trahison des clercs » représentés par le ministre de l’éducation, agrégé, me semble-t-il, de lettres classiques… Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas défavorable, loin de là, à un apprentissage plus poussé de la langue de Shakespeare (quoique l’anglais qu’il est question de faire étudier n’a pas grand-chose à voir avec la richesse de vocabulaire et de pensée du célèbre dramaturge anglais…), et je regarde tous les films (ou séries) anglo-saxons en V.O., dans leur langue d’origine, supportant mal les mauvais doublages actuels, y pressentant une déperdition du sens et de l’écho qu’il peut ordinairement susciter chez le spectateur. Mais je suis hostile à cette forme de « monolinguisme » qui s’impose peu à peu, par le renoncement des pouvoirs publics, faute de volonté (la langue est éminemment « chose politique ») devant le cours des choses. Et je suis aussi favorable à l’ouverture à d’autres langues, à leur apprentissage, moyen de les pérenniser et de les faire vivre au-delà du seul présent : je serai fort marri de ne plus entendre parler allemand lorsque je prends mon café à Vienne, non loin de la Kapuzinerkirche… Fort marri de ne plus entendre qu’une seule langue, même avec des accents différents, d’un bout à l’autre de l’Europe. Et puis, considérer que l’apprentissage de l’anglais est « obligatoire » dans le monde contemporain, c’est accepter ce « nomadisme perpétuel » qui réduit le monde à une seule entité comme dans le cauchemar décrit par Orwell : « One World »… Il est vrai que c’était aussi le slogan des derniers Jeux olympiques : « One World, one dream » ! C’est accepter qu’il y ait obligation à devenir « citoyen du monde », sans enracinement particulier, sans histoire, sans langue propre… Quel monde triste, purement « efficace », mais en définitive si morne, si peu libre, si inhumain… A vouloir reconstruire la tour de Babel, on s’expose à quelques surprises et revanches, parfois terribles, de l’Histoire…
23:29 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, bilinguisme, orwell, anglais, darcos.
31/08/2008
Fin de vacances.
Je profite des derniers jours de vacances pour préparer quelques cours et compléter mes dossiers par le tri et le découpage des articles de journaux amassés ces deux derniers mois : à bien y regarder, cet été fut sacrément riche en événements, de la libération d’Ingrid Betancourt à la tension internationale entre la Russie et le camp occidental, sans oublier les Jeux olympiques de Pékin et la guerre en Afghanistan, ou encore l’Union pour la Méditerranée, la mort de Soljenitsyne, le sacre d’Obama à la convention démocrate de Denver… A relire mes notes sur ce blogue, je constate que j’ai accordé une grande importance aux événements extérieurs mais en gardant toujours à l’esprit les nécessités et les possibilités françaises, premières dans l’ordre de mes priorités, ne serait-ce que parce que la politique c’est d’abord la vie de la cité (de sa propre cité à bien y regarder) comme l’indique l’étymologie du mot, et que c’est sur cette cité proche que l’on peut concrètement réfléchir et agir avant de, ou pour, « faire la paix aux antipodes », selon la formule populaire… Nous ne sommes efficaces que parce que, d’abord, nous sommes en un lieu et en un temps, et que nous en tenons compte : c’est en s’appuyant sur les réalités concrètes que nous pouvons penser solidement, et non sur les seuls sables mouvants de la théorie ou de l’idéologie.
Cela ne veut pas dire limiter notre regard ou nous taire lorsque des situations sont lointaines et apparemment hors de portée de notre voix, de nos sens. Mais cela veut dire que, en politique, l’humilité bien comprise et la voix bien posée valent mieux que l’agitation vaine, la gesticulation qui donne bonne conscience et, en définitive, n’est qu’une hypocrisie facile, peu coûteuse mais si peu honorable. A quoi bon hurler pour la libération du Tibet si, dans le même temps, on se gausse de ces provinces françaises qui veulent vivre « libres », c’est-à-dire autonomes du Pouvoir central sans pour autant remettre en cause l’unité du pays ? Le jacobinisme chinois, plus récent que celui issu de la Révolution de 1789, ne doit pas être la paille dans l’œil du voisin qui nous empêcherait de voir la poutre dans le nôtre… Et il nous est tout à fait loisible de dénoncer le centralisme négateur des diversités françaises (qu’il soit de Paris ou de Bruxelles) et d’agir concrètement pour nos libertés provinciales, quand il est moins évident, par l’éloignement et la force des choses, d’atteindre le pouvoir central de Pékin à plusieurs milliers de kilomètres de la France !
D’autre part, dénoncer les méthodes gouvernementales chinoises ou, dans un autre domaine, les destructions d’emplois industriels français, n’a vraiment de sens que si, par sa propre attitude de consommation, on limite ses achats de produits « made in China » et l’on essaye, autant que faire se peut, d’acheter des produits français, locaux, proches. Je ne méconnais pas le coût parfois plus élevé de ces achats mais il faut bien comprendre que cela peut aussi être une incitation à moins mais à mieux consommer : « Nos emplettes sont nos emplois », rappelait une ancienne publicité aujourd’hui considérée comme « protectionniste »… D’autre part, en réduisant les distances de transport, l’impact sur l’environnement en est moindre.
Je ne dirai pas que « tout est politique » mais bien plutôt qu’il faut penser en « politique d’abord », non pas comme une finalité mais comme un moyen d’agir sur l’économique et l’environnement : en somme, éviter de mettre la charrue avant les bœufs…
14:07 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : géopolitique, géorgie, politique, chine, france.