01/10/2008
Ford, plus révolutionnaire que Lénine.
Je poursuis mes cours sur « les révolutions industrielles » et je ne cesse de lire des articles et d’emprunter ou d’acheter des livres sur le sujet pour compléter mon propos ou l’amender : je trouve ce thème passionnant à l’heure où notre société doit affronter une vaste crise financière qui est aussi une transition vers un monde nouveau dont je ne suis pas certain des contours mais qui m’apparaît fort différent de celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui encore.
Une de mes sources de réflexion (mais pas la seule) est constituée par les articles de l’essayiste Pierre Debray, bien oublié désormais (sans doute à tort), « monarchiste de raison et républicain de cœur » comme il se définissait lui-même, qui, au-delà d’un mauvais caractère légendaire, avait le mérite d’explorer des terrains souvent originaux dans la France des années 50-70 en s’appuyant sur la méthode maurrassienne et sur des textes de théoriciens alors trop peu lus et souvent mal compris en France, comme Lewis Mumford (auteur de « Technique et civilisation ») par exemple. C’est ainsi que j’ai découvert la vraie « révolution copernicienne » opérée par Henry Ford au début du XXe siècle, comme l’explique Debray : « Ce sera un (…) « roi de l’automobile », Ford Ier, qui accomplira la véritable révolution du XXe siècle, Lénine ou Hitler n’étant que des épiphénomènes régressifs, qui bloquent le progrès technique [assertion avec laquelle d’ailleurs je ne suis pas entièrement d’accord, le totalitarisme ayant parfois joué le rôle d’un accélérateur des mouvements techniques, ne serait-ce que pour des raisons idéologiques et militaires], alors que Ford Ier crée la possibilité de son développement. Le premier, il comprend qu’à la production de masse doit correspondre la consommation de masse. Il va donc décider d’augmenter les salaires de ses ouvriers (…). Il n’agit pas en « patron social ». Aucun souci philanthropique ne l’anime. Seul le guide la considération cynique des intérêts de l’entreprise. Il faut que ses ouvriers aient des ressources suffisantes pour acheter les automobiles qu’ils fabriquent. Un système de prix de faveur et d’épargne-crédit va permettre au système de fonctionner (…).
Le « fordisme » (…) implique la généralisation du crédit à la consommation, réservé jusqu’alors à certains produits de luxe, avec l’instalment system, la vente par mensualité. D’où un développement rapide de la production dans les secteurs de pointe : à l’époque, l’automobile, les postes de radio, l’électro-ménager. Les entreprises sont obligées, pour satisfaire la demande, d’investir des capitaux considérables que l’auto-financement ne leur permet pas de se procurer. Il leur faut emprunter. A la production et à la consommation de masse correspond l’épargne de masse. » D’où un développement de l’épargne populaire de masse mais aussi d’une spéculation élargie aux couches sociales les plus diverses qui sert surtout les intérêts des financiers : « L’achat d’actions à crédit, fructueux à court terme, enrichit les banquiers qui placent l’argent de leurs clients en leur faisant payer le loyer, donc prennent le bénéfice en évitant le risque. » Ecrites dans les années 70, ces lignes prennent aujourd’hui une drôle de sonorité, comme un goût d’actualité… Toute ressemblance avec des événements existant ou ayant existé serait-elle si fortuite que cela ?... Surtout en ses autres lignes qui complètent les précédentes : « Il suffisait d’un accident pour que s’effondre le château de cartes. » Y sommes-nous désormais (à nouveau, au regard de 1929), sachant qu’une crise telle que celle qui se déploie actuellement sous nos yeux peut aussi être l’accouchement d’une « nouvelle réalité » dans laquelle l’ordre des puissances se trouve bouleversé ou, du moins, ébranlé et menacé ?
Beaucoup de questions qui nécessitent des réponses ou des précautions…
23:22 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ford, crise, consommation, crédit, pierre debray.
30/09/2008
Quelques remarques d'Attali sur la crise financière.
La crise financière a commencé il y a déjà plus d’un an, le 9 août 2007, et elle n’a pas fini de faire sentir ses effets sur l’économie mondiale. Dans un entretien paru dans « Le Monde » (9 août 2008), Jacques Attali, dont j’ai déjà eu l’occasion de traiter ici sans beaucoup de délicatesse, développe néanmoins quelques propos intéressants qu’il serait maladroit de négliger : « Cette crise a démontré qu’on ne pouvait pas laisser la finance se réguler elle-même. Le système financier a été un instrument génial pour organiser la globalisation, le transfert depuis les pays qui ont de l’épargne vers les pays où investir.
La titrisation [une innovation financière qui a permis aux banques de transférer les risques de crédit aux marchés] en a été l’un des outils. Mais à partir du moment où il n’a plus été au service de l’économie de marché mais au service de lui-même, pour réaliser des profits, le système a dérapé et il n’y avait personne pour l’en empêcher. » Ainsi, Attali semble reconnaître que la « main invisible », si nécessaire au raisonnement libéral en économie, n’est pas pour autant vertueuse et ne tend pas naturellement au bien commun, sans doute parce que limiter l’économie à elle-même, en faire une fin quand elle ne devrait être qu’un moyen, c’est la laisser à ses seuls principes de profit et d’efficacité. Or, l’économie sans conscience sociale, sans garde-fou institutionnel au service des personnes, c’est le déni de tout humanisme, de toute justice sociale. Ainsi je vais, dans mon propos, beaucoup plus loin que M. Attali qui, lui, ne met pas vraiment en cause les principes de l’économie de marché, même quand ils dégénèrent en abus qu’il attribue au seul système financier quand, à mon avis, le mal est beaucoup plus profond.
Néanmoins, on ne peut qu’approuver son propos quand il écrit : « Le plus vraisemblable est que le système s’en tirera en reportant sur d’autres le solde de ses erreurs.
Nous sommes au moment où l’on commence à faire payer le contribuable par des nationalisations directes ou indirectes comme au Royaume-Uni (…), ou comme on s’apprête à le faire aux Etats-Unis (…).
Les épargnants pourraient payer la facture via l’inflation, qui dévalorisera leurs créances et donc leur patrimoine. » Il me semble qu’on est en plein dedans, avec la semi-nationalisation de Fortis au Benelux, par exemple…
Mais est-il normal que, au-delà des épargnants eux-mêmes, tous les contribuables doivent aussi payer pour réparer les conséquences des choix désastreux ou des spéculations des grandes banques d’affaires ?
En fait, cela ne serait pas choquant si l’Etat était sûr de récupérer sa mise, voire d’en tirer quelques bénéfices qui serviraient ainsi au bien commun national, mais là encore, rien n’est sûr, et il semble que certains financiers ne voient en ces mesures que le moyen de s’éviter le pire…
Ce qui est certain, c’est que les mesures de nationalisation prises dans l’urgence risquent de se heurter d’ici quelques temps aux « rappels au règlement » de l’Union européenne, plus libérales (au sens purement économique) encore depuis le traité constitutionnel de Lisbonne : les Etats oseront-ils s’opposer alors à la gardienne inflexible de l’ordre eurolibéral qu’est la Commission européenne ? A moins que la dite Commission ne comprenne enfin que les dogmes ne valent rien face aux réalités et que la meilleure stratégie peut parfois être de « contourner » les grands principes, voire de les oublier… L’épreuve de vérité approche-t-elle ?
En tout cas, le feuilleton de la crise, avec sa dramaturgie et ses rebondissements, son rythme endiablé, continue : la suite au prochain épisode…
23:38 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise, nationalisations, fortis, attali, banques, libéralisme.
29/09/2008
41.300 chômeurs de plus...
41.300 chômeurs de plus au mois d’août en France… La nouvelle n’est pas bonne mais de plus, croisée avec d’autres informations, elle montre quelques unes des contradictions (et hypocrisies) du système capitaliste quand celui-ci n’est plus dirigé que par les lois de la libre concurrence et du profit individualisé, de la loi injuste de la « main invisible » du Marché… En effet, certains analystes économiques nous expliquaient il y a encore un mois que la France devait faire appel à plusieurs centaines de milliers de travailleurs étrangers pour répondre à ses besoins : ce langage risque d’avoir plus de mal à passer dans les mois qui viennent, pour des raisons assez évidentes… En fait, ce propos n’est pas entièrement faux mais seulement si l’on continue dans cette politique absurde de l’éducation et de l’emploi qui discrédite, par un discours démagogique, le travail manuel et les métiers rudes et pénibles dont, sans doute, aucune société ne peut se passer : il y aura toujours besoin de plombiers, de maçons, de serveurs, de cuisiniers, de balayeurs, etc., métiers qui n’ont rien de désobligeants mais qui, dans notre société repue et clinquante, apparaissent à tort comme dégradants ou, plus simplement, peu valorisants.
Dans une société où l’on met en avant l’argent facile et le moindre effort, les jeunes générations ne sont guère incitées, ni motivées, pour se lancer dans ces professions qui, régulièrement, se plaignent de ne pas trouver suffisamment de bras : d’où la « nécessité » d’en appeler à des populations immigrées, moins revendicatrices sur le plan des salaires et des conditions de travail. Jean-François Kahn faisait remarquer, il y a déjà quelques années, que cela avait permis (dans les décennies précédentes et jusqu’à nos jours) aux employeurs de ne pas augmenter les salaires et de les maintenir à un niveau anormalement bas au regard de la pénibilité du travail concerné et de la progression générale des prix : cynisme d’un certain patronat oublieux de ses devoirs sociaux et juste désireux d’augmenter ses profits à moindres frais…
Pendant ce temps, l’école semble ne plus répondre aux besoins de la société et ne plus offrir à de larges parts de nos jeunes générations de débouchés : de moins en moins d’apprentis, de plus en plus de diplômés sans véritable formation, incapables de trouver une place professionnelle qui corresponde à leurs souhaits ou, pire, à leurs compétences et aptitudes. De plus en plus de ressentiments qui s’accumulent, de gâchis sociaux…
Il va bien falloir, d’ici peu, poser les vrais problèmes sur la table et ne plus se contenter de discours lénifiants et démagogiques : et avancer de vraies propositions, qui devront prendre en compte autant les nécessités sociales qu’environnementales, autant l’aménagement du territoire (aujourd’hui trop négligé au nom de la « rentabilité » baptisée injustement « efficacité ») que la refonte des établissements scolaires et universitaires, etc.
J’ai, sur ce blogue, au fil des années, évoqué quelques solutions, qui ne sont pas exhaustives mais qui méritent sans doute d’être approfondies, complétées, éventuellement amendées : car on ne peut valablement critiquer un système que si l’on propose de quoi le remplacer…
23:21 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chômage, salaires, patronat, école.