19/08/2008
Droit des peuples et conflit russo-géorgien (2).
Ma note de lundi sur l’actuel conflit russo-géorgien était évidemment incomplète, et il m’apparaît nécessaire de poursuivre mes citations de l’article d’Alain Minc, comme il me faudra citer ultérieurement l’article fort intéressant et instructif de Marek Halter paru dans « Le Figaro » du 15 août.
A l’heure où j’écris, les troupes russes font durer le suspense sur leur retrait des alentours de la ville géorgienne de Gori et les pays occidentaux, faute d’avoir prévu (et prévenu) le conflit, haussent le ton face à une Russie qui ne les écoute que distraitement. Est-ce si étonnant, au regard des « errements » récents des Etats de l’Union européenne sur la scène internationale, en particulier dans les Balkans, et je mets bien sûr ce terme entre guillemets, persuadé que je suis que certains savaient très bien ce qu’ils faisaient, véritables apprentis sorciers défiant les règles de la raison et de l’Histoire du continent elle-même ? Je ne parle même pas de l’attitude des Etats-Unis qui, depuis Wilson, se pare du blanc manteau de la morale pour mieux imposer leurs vues, au nom du Droit et de la Démocratie… Il me faudra sans doute un jour revenir sur « l’idéologie états-unienne » (ou « américaine » selon la terminologie que les Etats-uniens ont eux-mêmes imposée au monde et dans le langage commun) qui anime les administrations de ce grand pays d’Outre-Atlantique, qu’elles soient démocrates ou républicaines (du nom des deux partis qui se partagent le Pouvoir là-bas).
C’est, en somme, ce que souligne Alain Minc quand il rappelle le précédent du Kosovo, pas vraiment lointain, ni dans le temps ni dans l’espace : « Que répondre aux Russes quand ils nous jettent à la face le Kosovo ? Nous avons fait prévaloir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur l’intégrité territoriale de la Serbie. Celle-ci était certes plus formelle que réelle, à l’instar de la situation de la Géorgie vis-à-vis de ses deux provinces irrédentistes. Encore que l’histoire était plus favorable aux Serbes qu’aux Géorgiens, le Kosovo leur appartenant depuis la nuit des temps alors que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont été rattachées à la Géorgie par le régime stalinien, le tout à l’intérieur d’un empire où les « républiques socialistes soviétiques » étaient des « Etats Potemkine », c’est-à-dire de carton-pâte. Quel argument avons-nous pour refuser aux Ossètes et aux Abkhazes le droit à l’autodétermination ? ». Alain Minc, en fait, prend le contre-pied des attitudes occidentales depuis les années 90 dans les Balkans et le Caucase, simplement en s’appuyant sur l’histoire elle-même et en soulignant les contradictions des prises de position des Etats européens et états-unien, en particulier à travers l’utilisation du concept de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », à la fois arme et piège pour les diplomaties et les Etats eux-mêmes, puisque la question éternellement reposée est celle de la définition même d’un « peuple », et de son rapport à « l’Etat », à la nation qu’il revendique ou auquel il se rattache, de son propre gré ou non…
La France, dans son histoire, a résolu la question, au moins jusqu’à la Révolution à travers sa dynastie puis, après 1789, à l’aide d’une politique centralisatrice « jacobine » qui craque aujourd’hui de plus en plus : les deux réponses, successives, n’ont pas exactement le même sens ni la même efficacité. La réponse dynastique « incorporait » les peuples autour du trône en respectant à peu près les traditions et l’exercice de leurs pouvoirs communautaires, voire législatifs : la France se voulait, à travers la politique de ses rois, un « composé de corps sociaux », dont les peuples participaient et qui permettait au souverain de s’adresser à « ses peuples » sans l’uniformiser dans un singulier réducteur. La centralisation révolutionnaire, impériale ou républicaine, a voulu calquer le « peuple français » sur l’unité de l’Etat : « un Etat donc un peuple »… Changement fondamental dans la conception même de la nation française dont les conséquences ne seront pas toutes heureuses dans les deux derniers siècles…
En tout cas, la Révolution a légué au monde ce concept du « droit des peuples » qui ne cesse d’être un facteur de conflit (et donc un moteur de l’histoire…) lorsqu’il devient un principe, une idéologie, et qu’il oublie les réalités nationales spécifiques à certains ensembles : penser la nation peut aussi signifier penser la pluralité et la subsidiarité, mais aussi les rapports d’acceptation et d’incorporation au sein d’un ensemble. Dans le cas de l’Ossétie, il est intéressant de constater justement que, au delà de l’Histoire elle-même (qui fait plutôt pencher la balance du côté russe, qu’on le veuille ou non), les Ossètes eux-mêmes, défavorables à l’indépendantisme géorgien dans les années 90, ne pensent « leur indépendance » que dans l’optique d’un rattachement pur et simple à la Russie, « leur mère patrie » selon le mot d’un manifestant ossète à Bruxelles hier lundi, et donc par la séparation d’une Géorgie elle-même indépendante, mais de la Russie...
Au jour d’aujourd’hui, l’Ossétie du Sud, résultat des découpages staliniens des années du totalitarisme communiste « internationaliste », est bien partie pour redevenir intégralement russe, au nom des mêmes principes (mais vécus différemment, car chaque peuple est différent du voisin et existe selon ses propres critères) que ceux qui animaient la Géorgie pour prendre en 1991 et, désormais, exercer sa liberté d’Etat (ou souveraineté nationale) à l’égard de la Fédération de Russie…
(à suivre)
13:10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nation, etat, droit des peuples, ossétie, russie, géorgie, peuple.
18/08/2008
Le conflit russo-géorgien (1).
Soljenitsyne est mort à temps… Il a eu ainsi droit à des hommages mérités et remarqués, avec parfois une pointe de réserve à l’égard de son patriotisme russe, considéré comme une sorte d’anachronisme à l’heure de la Démocratie mondiale. Son cadavre à peine froid, une grande partie de la presse européenne, dans un réflexe de défiance à l’égard de la Russie, « forcément impériale », condamnait « l’agression russe » avec des mots et des expressions qui fleuraient bon les « on vous l’avait bien dit », « la Russie semblable à elle-même », ou « on n’est jamais assez prudent avec cet embarrassant voisin »… Ainsi, le même Bernard-Henri Lévy qui tressait des lauriers à Soljenitsyne la veille (oubliant sans doute qu’il l’avait dénoncé quelques années auparavant comme un dangereux slavophile antidémocrate…) s’est-il fendu, avec son ami André Glucksmann, lui aussi maoïste repenti, d’un article vengeur contre la Russie dont l’absence de mesure dessert même la cause auprès d’une Opinion qui n’est quand même pas si naïve…
D’ailleurs, dans le quotidien « Libération » du lundi 18 août que je parcours en ce moment, crayon en main, l’essayiste Alain Minc lui répond avec quelques arguments simples, en rappelant combien les réalités historiques et géopolitiques européennes nécessitent prudence et raison dans leur approche : « ils [BHL et Glucksmann] savent qu’il existe des problèmes sans solution et que l’intelligence collective consiste parfois à vivre avec eux ».
Du coup, Alain Minc souligne quelques « erreurs » dans les propos des deux auteurs : « « Qui a tiré, cette semaine, le premier ? La question est obsolète », écrivent-ils. Etonnante affirmation. Comment faire abstraction du faux pas du président Saakachvili, déclenchant une opération militaire en Ossétie du Sud ? Ses meilleurs avocats prétendent qu’il est tombé dans un piège, les Russes l’ayant poussé à agir en lui faisant miroiter leur non-intervention. Piètre excuse. Quand on dirige un Etat à l’ombre de l’Empire de Pierre le Grand et de Vladimir Poutine, on se méfie et on ne prend pas pour argent comptant les propos amènes des représentants du tsar. Le président géorgien aurait dû chercher ses modèles du côté de l’exemplaire démocratie finlandaise, qui a su préserver ses libertés et son indépendance à portée de tir de l’Union soviétique : les principes et la retenue ne sont pas incompatibles. Ce peut être même la quintessence de l’art politique. » Des lignes que l’on pourrait croire écrites par Charles Maurras dont le « réalisme géopolitique », en particulier lisible dans son ouvrage « Kiel et Tanger », serait bienvenu à la tête de l’Etat et, en particulier, du Quai d’Orsay… D’ailleurs, il me semble que M. Sarkozy, dans cette affaire et jusqu’à présent, n’a pas trop mal joué, malgré son tropisme atlantiste, en évitant de diaboliser la Russie et en cherchant à inscrire le cessez-le-feu dans la durée, sans préjuger du lendemain. Reste à voir si cela durera vraiment et si les vieux démons de la précipitation et de l’esprit brouillon céderont définitivement la place à la mesure et à la patience, qualités indispensables à toute diplomatie digne de ce nom.
(à suivre)
13:59 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géorgie, ossétie, russie, bernard-henri lévy, alain minc, géopolitique.
17/08/2008
Nécessité écologique d'Etat.
Les massifs coralliens sont en train de mourir, au grand dam des naturalistes qui observent, impuissants, ce phénomène annonciateur d’un réchauffement climatique dont on ne mesure pas encore les conséquences, mais dont on commence à sentir les premiers effets. Dans le même temps, la banquise fond de plus en plus rapidement au pôle Nord, ouvrant de nouvelles perspectives économiques mais aussi géopolitiques, peut-être dangereuses, si l’on n’y prend garde, pour l’équilibre du monde : en effet, les nouvelles routes ouvertes par cette fonte rapide sont en train de faire de cet espace immense un enjeu géoéconomique et géopolitique de toute première importance, non seulement du fait des richesses qu’il recèle mais aussi des flux de communications qui feront du pôle un nouvel axe majeur de la mondialisation, au risque de l’environnement lui-même.
A quoi sont dus ces changements environnementaux ? Au-delà des variations climatiques naturelles et qui ont toujours existé, la faute en revient aussi aux rejets de CO2 de nos sociétés contemporaines, industrielles et consuméristes… Et cela, ce n’est pas contestable, comme on peut le constater en faisant des prélèvements dans les glaces arctiques : la teneur en CO2 de notre atmosphère est bien supérieure à celle des millénaires passés, et cela tend visiblement à s’aggraver, au risque de provoquer un réchauffement et une acidification des mers, fatales aux barrières de corail…
Doit-on se contenter de geindre sans chercher à réagir ? Certes non ! Et, même si cela peut paraître bien anodin au regard des enjeux et du nombre d’habitants actuels et à venir sur notre planète, il n’est pas impossible d’agir concrètement, individuellement comme collectivement, par le biais de l’Etat français, qui a mandat sur 62 millions de citoyens et dispose d’un espace territorial loin d’être négligeable, sur terre comme sur mer (la France a le deuxième espace maritime du monde, en grande partie grâce à son outre-mer). Encore faut-il avoir conscience des enjeux et des dangers des dérèglements climatiques, et avoir la volonté politique d’en relever les défis.
L’Etat doit, autant qu’il est possible, mettre en place quelques mesures simples et jouer un rôle d’exemplarité sur les autres nations industrialisées, en particulier de l’Union européenne dont la France est présentement présidente jusqu’au 31 décembre prochain.
Développement des énergies alternatives, en particulier dans l’immobilier (panneaux solaires, petit éolien domestique, etc.) ; incitation aux économies d’énergie et à la baisse des consommations industrielles, agricoles comme domestiques ; relocalisation d’une partie de nos industries destinées à alimenter le marché français (par exemple, dans le secteur automobile ou dans la production agricole) ; aménagement des territoires, etc. : la liste n’est pas limitative, bien sûr, mais elle doit être pragmatiquement complétée sans tomber dans une forme « punitive » de l’écologie quotidienne, qui aurait pour résultat de déresponsabiliser les populations et de les inciter à des « fraudes écologiques » néfastes : un effort d’imagination est ainsi nécessaire pour faire de ce qui est urgent et utile une habitude « désirée », et non une contrainte mal vécue. Il n’est pas dit que cela soit toujours ni facile ni même possible (des remises en cause douloureuses sont une étape qu’il sera parfois difficile d’ignorer…), mais il faut tendre, en pensant aux résultats environnementaux à atteindre, à cette écologie pratique et populaire pour ne pas hypothéquer l’avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie » selon l’heureuse formule de Maurras.
19:44 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, dérèglement climatique, banquise, éolien, etat.