27/08/2008
Le conflit russo-géorgien : la reconnaissance des républiques ossète et abkhaze.
La Russie vient de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, ces deux territoires revendiqués par la Géorgie mais détachés, de fait et depuis plus de quinze ans, de celle-ci : certains y voient là « l’effet Kosovo » tandis que les Occidentaux, souvent mal inspirés, évoquent un coup de force russe et une violation du Droit international, semblant oublier qu’eux-mêmes en ont fait peu de cas depuis 1999 en ex-Yougoslavie… L’arroseur arrosé !
Ce qui est inquiétant est l’absence de mesure et, surtout, d’indépendance des principaux pays de l’Union européenne coincés par une logique atlantiste, OTAN oblige, et qui empêche l’Europe de se projeter dans l’avenir, un avenir qui ne peut négliger la Russie au risque de ne pas exister librement : sans Russie, pas d’Europe politique ! C’était d’ailleurs le sentiment du général de Gaulle. Or, la russophobie, véritable alliée de la stratégie états-unienne d’endiguement de la puissance orthodoxe, semble aveugler nos dirigeants, à moins qu’ils n’en soient les initiateurs. Cette russophobie des pays de l’UE risque d’avoir une conséquence concrète et rapide, c’est de jeter la Russie, principale puissance énergétique du continent dans les bras de la Chine qui n’attend que cela et se frotte déjà les mains d’une telle aubaine. Pourtant, les Russes sont inquiets de la poussée chinoise, y compris sur leurs marges et dans les zones frontalières du fleuve Amour, et souhaiteraient ne pas être abandonnés à cette alliance inconfortable et, en définitive, peu souhaitée par un Etat russe si peu sinophile.
Anatole France, écrivain de tendance jaurésienne mais pourtant non-conformiste et sans illusion sur le système républicain, prévenait ses lecteurs que la République « ne pouvait avoir de politique extérieure » digne de ce nom : quoiqu’on en pense, De Gaulle avait sans doute tenté de faire mentir cet avertissement ou cette prédiction en rétablissant une diplomatie capétienne fondée sur la liberté de parole et d’action d’un Etat rénové et soucieux, voire jaloux de son indépendance, ce que n’avaient cessé de combattre les atlantistes et les européistes tels Jean Monnet (personnage dont il faudra bien, un jour, faire le procès, ne serait-ce que par égard pour la vérité !). M. Sarkozy semble à nouveau oublier les leçons d’un passé pourtant encore proche, trahissant les idéaux d’un gaullisme dont il se veut une sorte d’héritier à défaut d’en être le continuateur. En choisissant l’an dernier Bernard Kouchner plutôt qu’Hubert Védrine, il marquait là ses préférences diplomatiques. Mauvaise pioche, pourrait-on ricaner aujourd’hui…
Mais, surtout, occasion manquée d’une vraie politique extérieure française qui ne doive rien à personne et soit actrice et médiatrice dans un monde compliqué : la diplomatie est décidément bien « chose royale », et non ce « brouillon républicain » qui nous entraîne vers des catastrophes dont, pourtant, nous ne voulons pas et qu’il ne faut pas souhaiter pour notre pays !
Cet été 2008, meurtrier, est aussi révélateur des insuffisances de notre Défense que des suffisances de nos gouvernants : il faudra bien en tirer les conséquences avant qu’il ne soit trop tard, avant le prochain « Mai 40 »…
16:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géorgie, russie, ossétie, abkhazie, otan, russophobie.
24/08/2008
Vendée.
La Vendée dite « Militaire », beaucoup plus vaste que le département du même nom, a été le lieu d’une véritable guerre civile qui n’a pas cessé avec la mort de Robespierre contrairement à ce que l’on croit souvent : c’est ce que rappellent les musées consacrés à ces guerres de Vendée, à Cholet dans un cadre officiel et à Saint-Florent-le-Vieil dans un cadre plus rustique et mémorial, musées que j’ai visités vendredi dernier dans la foulée l’un de l’autre. Des souvenirs de cette terrible page d’histoire illustraient des panneaux expliquant les causes, les événements et les conséquences de « la Vendée » : ainsi, à Cholet, le crâne de l’un des chefs insurgés, Nicolas Stofflet, dont on retrouve le couvre-chef… à Saint-Florent ; des drapeaux fleurdelysés, des sacrés-cœurs rouges et des cocardes blanches des paysans et des notables royalistes en guerre contre les Bleus de cette République si peu amicale malgré la fraternité inscrite sur ses frontons ; d’immenses tableaux de facture romantique (typiques du début XIXe siècle) censés représenter les grands chefs vendéens et chouans (puisque Cadoudal s’y trouve aussi en majesté) placés dans une salle ronde de Cholet comme une sorte de panthéon monarchiste ; de multiples illustrations issues des deux camps et des proclamations des uns et des autres ; des maquettes reproduisant les batailles mais aussi des objets du « culte » vendéen, comme les beaux restes de la grande statue sculptée par Maxime Real del Sarte, endommagée par une bombe et par les déménagements successifs, statue qui représente un paysan vendéen brandissant vers le ciel un cœur surmonté d’une croix…
Cette page d’histoire cruelle et qui a tant divisé les Français est aujourd’hui presque oubliée, et je dois avouer que durant ma visite d’une heure au musée de Cholet, je n’ai croisé qu’un couple avec son enfant, tandis qu’à Saint-Florent, le jeune gardien des lieux m’indiquait qu’il n’y avait en moyenne guère plus d’une douzaine de visiteurs quotidiens… De plus, j’ai pu constater comment la mémoire de cette terre s’était perdue au fil des siècles, et en particulier du dernier achevé, sans doute à cause de l’école, si « pudique » dans le meilleur des cas sur cette révolte antirépublicaine, incompréhensible pour ceux qui croient que République et libertés sont synonymes (ce que dément l’Histoire, qu’on le regrette ou non), mais parfois si hargneuse contre ces « rebelles » coupables de ne pas apprécier les bienfaits de ce régime régicide : la lecture des manuels scolaires est souvent édifiante à cet égard… Mais les autres responsables de cet effacement de la mémoire, qui n’en est d’ailleurs pas un dépassement mais le remplacement par une autre, plus artificielle et « politiquement correcte », ce sont les curés qui, dans les années soixante, se sont faits les chantres d’une « nouvelle gauche », très inspirées des idées démocrates-chrétiennes et qui, pour faire accepter le message chrétien à un monde de plus en plus matérialiste et consumériste, ont préféré sacrifier des traditions « gênantes » car n’apparaissant pas dans le sens de l’Histoire, véritable croyance de l’époque… Je parle ici des traditions populaires historiques, enracinées, pas forcément des questions religieuses, mais, dans ce cas précis, elles étaient néanmoins pratiquement indissociables des pratiques sociales, voire politiques, des habitants de cet espace de la Vendée Militaire.
Ainsi, si cette Vendée est une histoire, si elle peut être une source de réflexions, y compris politiques, si son épopée mérite d’être appréciée et racontée, elle n’est pas une île en dehors du monde contemporain : au-delà des souvenirs, qu’il n’est pas inutile de rappeler et de perpétuer, car ils constituent aussi, bons ou mauvais, une part de l’identité historique royaliste, il faut penser ce qu’elle est aujourd’hui, et cela doit être, pour la France toute entière, dans ses diversités, une règle politique. C’est sans doute cela que Maurras appelait « l’empirisme organisateur », pour comprendre et agir sur le monde contemporain, sans nostalgie aucune mais sans oubli non plus : l’Histoire ne doit pas être un boulet mais un arc aux tensions mille fois renouvelées, aux flèches mille fois lancées ; un bel instrument et non des chaînes ou des regrets… Car la nostalgie ne fait pas une politique, elle n’en est que la paralysie dans un passé figé, incompréhensible sans porter autre chose que des plaintes ou des orgueils : la politique ce n’est pas vraiment cela, c’est bien plutôt ce que Maurras (encore lui !) évoquait comme « la tradition critique », la seule qui vaille pour ceux qui veulent servir la France sans forcément oublier ce qu’ils sont et d’où ils viennent.
14:42 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : vendée, mémoire, stofflet, maurras, empirisme organisateur.
21/08/2008
Les Français dans la guerre civile afghane.
Dix soldats français sont tombés lundi soir sous les balles en Afghanistan dans des circonstances qui, déjà, soulèvent la polémique. Mais avant d’aller plus loin, je m’incline respectueusement devant la mémoire de ces jeunes hommes qui portaient l’uniforme français, de ces hommes qui sont « l’épée et le bouclier » de la France, ici et ailleurs, et dont les noms vont s’inscrire désormais dans la pierre des monuments aux morts, à la suite de tant d’autres. Ce jeudi, alors qu’une pluie persistante mouille le pavé rennais, mon café a un goût de cendres. Devant moi, les gros titres de la presse s’étalent : hier la Géorgie, aujourd’hui l’Afghanistan et la France, parfois l’Algérie, et toujours le sang, la guerre malgré la « trêve olympique »… Lorsque l’été se refermera, il apparaîtra bien meurtrier cette année.
En ce jour d’hommage national aux soldats tombés en Afghanistan, les journaux s’interrogent sur les finalités de la présence française à Kaboul et ses environs, et sur les conditions de l’embuscade, les difficultés des soldats à se dégager : le manque de munitions, la question du commandement, le retard des renforts, etc. complètent ces interrogations.
Les propos du président de la République à Kaboul ne m’ont guère convaincu, c’est le moins que l’on puisse dire, et ils me semblent « décalés », en particulier au regard du pays concerné et de la politique militaire du président elle-même, mélange de langage comptable et d’esbroufe aux grands principes… Alors même que M. Sarkozy « défait » l’armée française au nom des économies budgétaires et qu’il se réfugie, sans contrepartie véritable, sous le parapluie états-unien au sein de l’OTAN (apparemment un « tigre de papier » piégé dans les montagnes d’Afghanistan), il s’agite et parle de « guerre à gagner » alors que les moyens n’y sont pas ! Les témoignages effarants sur l’état du matériel militaire français sur les terrains d’opération sont une indication inquiétante et qui laissent présager de nouvelles déconvenues, je n’ose écrire « défaites », terme qui risque pourtant de s’imposer dans les mois qui viennent si l’armée française n’est pas plus soutenue par l’Etat (et par autre chose que des mots et des hommages…) et si une véritable stratégie militaire sur le long terme n’est pas pensée dans les temps proches.
De plus, et c’est vrai pour l’Afghanistan comme pour d’autres théâtres d’opérations, il n’y a pas de victoire possible si, à côté du moyen militaire, il n’y a pas un véritable engagement civil de reconstruction du pays, routes et écoles, agriculture et ravitaillement : sans confondre les deux domaines, il est néanmoins évident que l’un n’est pas possible sans l’autre, et réciproquement : l’humanitaire et le militaire. La « politique de la canonnière », chère aux Etats-uniens, n’est pas la meilleure solution (et surtout pas la seule !) à apporter au terrorisme puisqu’il s’agit, dit-on, de cela en Afghanistan.
La France doit-elle se retirer du conflit aujourd’hui ? Cela serait reconnaître l’échec total de sept années de présence militaire et diplomatique françaises sur le terrain afghan, et apparaîtrait comme une défaite terrible. Mais il faut sans doute investir massivement dans la reconstruction de la capitale et des villes encore entre les mains des autorités du président Hamid Karzaï, et repenser les relations avec les différentes parties (en particulier ethniques et tribales) du pays : il ne faut plus attendre mais faire !
Certains diront que l’on « ne construit pas sous un bombardement », selon la célèbre formule de Maurras, mais gare au contresens sur cette citation et sur l’intention de son auteur ! Dans ce cas afghan, il s’agit aussi de reconstruire un Etat, moyen de permettre de sortir de la guerre civile dans laquelle la France apparaît aujourd’hui piégée, en partie par une rhétorique antiterroriste inadaptée à la situation politique intérieure de ce pays. Et si on ne tente pas de le faire, même sous les bombes, rien ne se fera de durable. N’est-ce pas ce qu’a fait Jeanne d’Arc en faisant sacrer roi le dauphin Charles en pleine guerre de reconquête, car elle savait que rien ne se construit sur la seule victoire militaire ?
Il ne s’agit pas d’imposer un modèle étatique à l’Afghanistan qui dispose d’institutions souveraines mais de l’aider à faire ses premiers pas, dans l’intérêt de tous, Afghans et autres. Ce n’est pas aux pays engagés dans le conflit de gouverner l’Afghanistan : cela n’empêche pas de l’aider, au-delà des débats institutionnels intérieurs, et sans préjuger de la forme actuelle ou future des institutions. D’ailleurs, ne paye-t-on pas ici l’erreur des Etats-Unis d’empêcher la restauration monarchique du roi Zaher Chah, aujourd’hui décédé, alors qu’elle était souhaitée, comme facteur d’unité et comme moyen de remettre les Pachtounes, majoritaires dans le pays, à la tête d’un pays dont ils sont les fondateurs ? En tout cas, il est bien tard, et il faut agir vite et bien, en politique autant qu’en militaire : la France, moins impopulaire que les Etats-Unis dans la région, peut encore jouer son jeu et être un arbitre utile au règlement de la guerre civile afghane, sans pour autant renier ses alliances et ses engagements.
13:02 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre, afghanistan, armée, stratégie.