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07/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (3ème partie : vers une révolution royaliste ?))

Pour en arriver à cette « révolution royaliste » tant espérée depuis la fondation de l’Action française, les Camelots du roi ne ménagent pas leur peine durant tout le mois de janvier : lorsqu’ils ne manifestent pas, ils diffusent dans tout Paris, mais aussi dans les villes de province, le quotidien monarchiste qui voit son tirage augmenter sensiblement, alimentant la contestation par des informations nouvelles et toujours plus, évidemment, accablantes pour le Pouvoir en place, selon la manière dont Pujo et Daudet les présentent. Maurice Pujo lui-même, qui est souvent à la tête des manifestants, montre la bonne maîtrise qu’il a sur les troupes de choc royalistes en n’hésitant pas à négocier, un soir de pluie, avec le préfet de police Jean Chiappe, et à demander aux Camelots, qui lui obéissent, de ne pas manifester ce jour-là. Cela ne peut qu’inquiéter les socialistes qui, dans le Populaire réclament la démission de Chiappe et dénoncent les manifestations royalistes.

Toujours est-il que l’A.F. revendique haut et fort l’entière responsabilité des événements de janvier-février 1934. Sa stratégie d’appel au « pays réel contre le pays légal » semble s’avérer payante, même si tous les éléments ne sont pas exactement réunis pour aboutir à une prise du pouvoir, ce que savent les dirigeants de l’A.F. (ils s’en expliqueront devant la commission d’enquête sur le Six Février, en particulier Maurice Pujo). Quelles sont les limites de l’action des Camelots du roi ? D’abord, il est à remarquer que, malgré quelques agitations à Lille, Nantes, Marseille ou Bordeaux, la province ne s’émeut guère et garde, même si ce sentiment est mâtiné de mépris, un certain attachement à la république, fortement enraciné par les instituteurs de l’école publique ; d’autre part, dans une France encore très catholique, l’A.F. est handicapée par la condamnation vaticane de 1926 : cela la prive du soutien effectif –et parfois affectif, ce qui n’est pas forcément moins important- de ceux qui pourraient aider au changement de régime et favoriser l’implantation de la monarchie.

Enfin, malgré sa position d’initiatrice de la contestation antiparlementaire, l’A.F. doit subir la concurrence de ligues nationalistes qui ne tiennent pas du tout à laisser le pouvoir au Comte de Paris : la Solidarité Française, les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, conseiller municipal de Paris ; les francistes, groupuscule fasciste admirateur de Mussolini ; etc. Un mouvement d’anciens combattants, les Croix-de-Feu, dirigé par le colonel de La Rocque, personnage ambigu, peu favorable aux idées d’A.F. (même si ses frères sont au service du Comte de Paris…), cherche à récupérer le mécontentement des classes moyennes à son profit et avoue vouloir se contenter d’une simple –mais  importante- réforme qui renforcerait le pouvoir exécutif, ce que confirme la publication récente des carnets du « colonel-comte » (l’une des expressions dont l’affuble la Gauche), sous le titre explicite « Pourquoi je suis républicain ». Jouant la carte de la légalité républicaine, il cherche à contourner l’A.F., ce qui lui vaut quelques avanies : lors d’une réunion dans le Quartier latin organisée le 31 janvier par les Croix-de-Feu, La Rocque est vivement interpellé par Jean Wilkin, secrétaire général des étudiants d’A.F., et par Georges Gaudy, l’un des dirigeants du mouvement. La Rocque, contrarié, se voit reprocher son attentisme à l’égard du régime politique tandis que sa propre réunion se termine sur le chant des Camelots du roi !

Les efforts des militants royalistes portent leurs fruits avec la grande manifestation du 27 janvier, fortement encadrée par les Camelots du roi, qui bousculent le service d’ordre policier en de multiples lieux de Paris, malgré l’arrestation préventive de deux cents militants près des différents locaux du journal et du mouvement. Le lendemain 28 janvier, L’Action Française peut chanter victoire et titre : « Paris soulevé a chassé le ministère Chautemps ». Chautemps hors-jeu, c’est Daladier qui le remplace, assisté d’un (presque) nouveau venu dans le jeu politique, Eugène Frot, qui devient ministre de l’Intérieur. Mais rien ne semble pouvoir arrêter la lame de fond de la contestation, et les manœuvres de couloir indiquent bien le désarroi des parlementaires, effrayés d’être ainsi assiégés dans Paris.

Ce succès de l’A.F. (la démission de Chautemps) aiguise un peu plus encore les appétits des autres ligues, jalouses de la « vieille maison » royaliste. Maurice Pujo en est fort conscient, lui qui cherche toujours un « Monk » susceptible de faire basculer la France de République en Monarchie, à l’image de ce général anglais qui avait rétabli cette dernière après la République puritaine de Cromwell, celle-là même qui avait décapité le roi Charles 1er d’Angleterre. Peut-être a-t-il cru le trouver en Jean Chiappe, le si populaire préfet de police de Paris, mais ce dernier est révoqué par Daladier le 3 février... Tout espoir d’un renversement de régime semble alors disparaître... Cela n’empêche pas l’Action française de maintenir la pression, comme s’il s’agissait d’une répétition grandeur nature de ce qui « pourrait arriver » le jour où un nouveau « Monk » se présenterait et assumerait son rôle historique…

 

(à suivre)

 

 

06/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (2ème partie : la réaction au scandale Stavisky)

D’une banale affaire d’escroquerie, « l’Affaire Stavisky » devient un scandale politico-financier qui touche tous les milieux de la République établie, en particulier le parti radical et la franc-maçonnerie, à cette époque très présente dans la vie politique du régime et souvent considérée comme son soutien et son inspiratrice. Léon Daudet, dans son article quotidien de L’Action française, « exécute » les « voleurs », au fil d’une plume plongée dans le vitriol. Le polémiste, jadis lui-même député de Paris de 1919 à 1924, dénonce les mauvaises mœurs parlementaires de la IIIe République et les pratiques policières de celle-ci. Pour définir les politiciens et magistrats touchés par le scandale, il évoque une « bande de traîtres, de voleurs, d’assassins » qu’il s’agit de poursuivre jusque dans « la caverne des brigands », c’est-à-dire le Palais-Bourbon.

C’est justement ce que vont s’engager à faire les Camelots du roi et les militants d’Action française dès le 9 janvier, jour de la rentrée parlementaire mais aussi de l’annonce de la mort, en définitive assez étrange (suicide ou assassinat ? Même Le canard enchaîné doute de la thèse officielle…) de Stavisky. Les Camelots du roi ont l’habitude de descendre dans la rue et d’orienter les manifestations vers des objectifs précis. En ce début janvier, il s’agit donc de dénoncer les « voleurs » et d’en appeler à une « réaction nationale ». C’est le sens de l’appel aux Parisiens publié par Maurice Pujo dès le 7 janvier dans les colonnes de L’Action Française : « Un scandale éclate montrant que la pauvre épargne publique, dont le régime prétendait assurer la protection à si grands frais, est livrée par les pouvoirs mêmes qui en avaient la garde aux rafles colossales d’un métèque escroc. [...]

Il n’y a plus, pour les honnêtes gens dépouillés, de recours auprès d’une magistrature et d’une police complices de malfaiteurs. Il faut que, pour défendre leurs biens avec la propreté du pays, ces honnêtes gens se dressent pour faire eux-mêmes la tâche. »

Les manifestations annoncées ont bien lieu ce 9 janvier : le boulevard Saint-Germain est le théâtre d’affrontements entre les militants d’A.F. menés par Lucien Lacour, vice-président de la Fédération nationale des Camelots du Roi, tandis que d’autres manifestants envahissent la place de la Concorde ou le carrefour Richelieu-Drouot.

Les jours suivants, de nouvelles manifestations, toujours convoquées et menées par l’Action française, ont lieu, de plus en plus importantes et de plus en plus motivées. Les raisons de cette tension persistante et, bientôt, de la montée en puissance de la contestation sont nombreuses : en somme, le scandale Stavisky, avec la découverte de l’escroc et son « suicide » auquel personne ne croit, révèle un climat délétère de corruption au sein même des institutions.

La Chambre des députés est particulièrement concernée et, par contrecoup, visée par la presse monarchiste. Du coup, l’antiparlementarisme, déjà fort répandu dans l’opinion, est fortement revigoré par le scandale qui touche de nombreux élus et d’anciens ministres ou, pire, des ministres en activité... Le président du Conseil lui-même, Camille Chautemps, malgré ses dénégations maladroites, est éclaboussé : d’autre part, en voulant répondre aux attaques de la presse (et en particulier de L’A.F.) par un projet de loi sur la « diffamation », il apparaît comme un « étrangleur » de la liberté d’expression et comme un « camoufleur » de la vérité. D’ailleurs, la réponse de Maurras est immédiate : il menace Chautemps de représailles et ne craint pas une possible descente de police à L’Action Française, comme il le souligne dans sa Politique du 12 janvier : « La perquisition ? Et puis après ? Que peut-elle faire apparaître ? [...] La force de nos vérités. Le courant irrésistible de la révolte... non, de la Révolution nationale. » Le terme fera florès, plus tard et dans de mauvaises (les pires, sans doute) conditions, et sans  combler totalement les attentes du vieux doctrinaire de la Monarchie…

Autre raison soulignée ainsi par Maurras : il ne s’agit pas d’animer une simple réaction épidermique contre des hommes corrompus, mais de dénoncer un régime tout entier, vicié par ses principes mêmes, et, au-delà de cette contestation, d’ouvrir la voie au recours monarchique incarné, de plus en plus visiblement, par le dauphin Henri, Comte de Paris, pressé de renouer avec la France le pacte multiséculaire de la monarchie. Cette stratégie, c’est ce que Jean-Paul Sartre appellera, dans les années 70, « l’illégalité légitime »…

C’est d’ailleurs ce qu’il a indiqué aux dirigeants de l’A.F. de passage au Manoir d’Anjou (lieu d’exil, en Belgique, de la Famille de France). Durant tout le temps des événements, Maurras n’aura de cesse de rappeler que tout serait finalement bien vain si cela ne devait pas aboutir, à plus ou moins long terme, à la monarchie « réparatrice ». Il n’avait, effectivement, que trop raison, comme la suite le démontrera à l’envi…

 

(à suivre)

 

05/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (1ère partie : une République en crise ?)

Quatre-vingts ans après, le Six Février 1934 reste une date symbolique, repérée et annoncée comme telle par les historiens, mais aussi effrayante pour les bien-pensants de la République, encore agitée comme un épouvantail par l’actuel gouvernement et ses partisans, qu’ils soient politiciens, ministres ou journalistes : pour preuve les récents propos de M. Valls dans le Journal du dimanche, comparant les manifestants hostiles à la politique familiale hollandiste à ceux qui firent trembler (à défaut de pouvoir le renverser…) le régime de la IIIe République en ce triste hiver 1934. Les partisans du « pays légal » des années 30 à aujourd’hui, n’ont eu de cesse, jusqu’à nos jours et encore plus cette dernière année troublée, d’en maquiller les causes et d’en travestir le sens, parfois même dans les manuels scolaires, au mépris de la vérité historique et de la simple honnêteté intellectuelle. Ainsi, les événements du 6 février sont-ils souvent présentés comme une tentative « fasciste » de coup d’Etat des « ligues d’extrême-droite », sans beaucoup plus d’explications. Parfois, toute trace de celle qui fut à l’origine des manifestations, l’Action française, a-t-elle disparu...

Aussi, retracer l’histoire de l’Action française, à travers son journal et son mouvement, pour cette période de quelques semaines de l’hiver 1934, apparaît nécessaire, pour dissiper quelques malentendus et réparer oublis et injustices.

À la fin de 1933, la France est en crise : crise économique venue d’outre-Atlantique, qui ronge le tissu social du pays, mais aussi crise politique, conséquence d’un système parlementaire facteur d’instabilité ministérielle ; crise morale révélée par les multiples scandales qui éclaboussent régulièrement la classe politique de la IIIe République ; crise de civilisation, enfin, à l’heure où les démocraties et les totalitarismes se font concurrence pour le contrôle des masses, et où technique et consommation assoient de plus en plus le règne de l’argent au détriment des cultures et des personnes.

C’est dans ce contexte lourd d’inquiétudes et de menaces que, le 24 décembre 1933, un article de presse, apparemment anodin, évoque une affaire d’escroquerie découverte à Bayonne et l’arrestation du directeur du crédit municipal de cette même ville, coupable d’avoir émis de faux bons pour des sommes très importantes. Que cet article paraisse dans le quotidien monarchiste L’Action française semble fort logique : après tout, ce journal n’a de cesse de dénoncer toutes les (mauvaises) « affaires » de la république pour mieux la décrédibiliser aux yeux d’une opinion publique pas encore totalement blasée, comme il se veut aussi le chantre de la « réaction nationale » qui doit, en bonne logique maurrassienne, mener à la monarchie.

Cette tactique de dénonciation systématique des maux de la république, en ces années trente, ne manque pas d’aliments tant les scandales qui touchent le régime et ses hommes semblent nombreux. Mais, jusque là, cela ne débouche guère sur autre chose que quelques manifestations de rue, des actions de Camelots du roi et la sempiternelle confirmation de la malhonnêteté inhérente au système idéologico-politique de la démocratie représentative. Pour autant, malgré le peu de débouchés politiques apparents de cette perpétuelle contestation (faute d’un Monk ?), la capacité d’indignation des journalistes et des militants royalistes reste intacte, prête à se manifester à l’occasion, avec le souhait toujours rappelé d’aboutir au renversement de la « gueuse », synonyme (pour les Camelots du roi) de république.

En quelques jours, « le scandale de Bayonne », comme le nomme l’Action française et, à sa suite, la presse populaire, prend des proportions inquiétantes pour le monde parlementaire. Chaque jour amène son lot de révélations, et la liste des escrocs et des corrompus s’allonge. C’est l’Action française qui, grâce à une « taupe » bien placée dans l’appareil d’Etat (au ministère de l’Intérieur lui-même ?), reçoit de nouveaux documents compromettants pour quelques personnalités politiques, et se fait un devoir et un plaisir de les publier. Ainsi reproduit-elle les lettres d’un ministre, Dalimier, conseillant de se procurer les fameux bons du Crédit municipal de Bayonne, et met-elle en cause le magistrat Pressard, beau-frère du président du Conseil du moment, Camille Chautemps : les premiers numéros de l’A.F. du mois de janvier 1934 fourmillent d’accusations et d’explications sur la vaste escroquerie mise en place par un certain Alexandre Stavisky, en fuite depuis Noël.

 

 

(à suivre)