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09/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (4ème partie : la colère...)

Le 3 février, dans son article de première page, Léon Daudet dénonce le durcissement prévisible de la répression républicaine et l’arrivée (qu’il a apprise par un informateur bien placé, si l’on en croit ses propos) de mitrailleuses destinées, en cas de besoin, à défendre le Palais-Bourbon : « Maintenant, ils (les politiciens républicains) ont imaginé qu’un tel régime, perdu de rapines et de stupres, ne peut plus être défendu qu’à coups de mitrailleuses. [...] Nos campagnes ont rendu plus malaisé à la police politique – “armature du régime”, disait le janissaire Bouchède – l’assassinat individuel. C’est sans doute ce qui a suggéré à “ces messieurs” d’user de l’assassinat collectif. Les parlementaires ont trouvé, sans doute, que le mépris ne leur suffisait pas, qu’il leur fallait s’attirer la haine de toute la population parisienne. » C’est le même Léon Daudet qui, le lundi 5 février, met en garde contre « la victoire apparente de la canaille sur la France honnête, de la pourriture sur les parties saines », si Daladier reste en place. « C’est aussi l’accession au pouvoir du socialisme [...] La banqueroute ne tardera guère. Cependant que l’abandon, par la star Boncour, de la Défense nationale, incitera l’Allemagne hitlérienne à une opération de grande envergure, dont la guerre sera le but inéluctable. » Lignes prémonitoires, écrites à l’heure où seule, ou presque, dans le paysage politique français, l’Action française s’inquiète des appétits naissants de l’Allemagne d’Hitler. L’avenir, à travers la politique du Front populaire de 1936 et l’expansionnisme nazi, confirmera les craintes de Daudet.

Dans ce même article, où la colère se mêle à l’angoisse, Daudet récuse la « chimère » de la simple dissolution de la Chambre, songe caressé surtout par les « républicains nationaux » et les Croix-de-Feu. Il rappelle la nécessité de la monarchie : « Seul l’aspect d’une France fortement gouvernée, nettoyée des voleurs, libre d’entraves et gardant sa raison, peut nous rendre la confiance de l’Europe et ôter à l’Allemagne le désir de nous attaquer ».

Une grande manifestation est annoncée pour le mardi 6 février « contre le régime abject » comme le titre L’Action Française de ce jour. Les dirigeants de l’A.F. savent que, malheureusement, cette démonstration ne ramènera pas la monarchie, faute de « l’union des patriotes » autour de l’idée royale prônée par l’A.F. Mais il n’est pas question pour autant de renoncer à cette nouvelle occasion de montrer la malfaisance du régime. Le jour venu, la manifestation (plutôt désordonnée car chacun a son parcours propre qui n’est pas celui des autres) tourne à l’insurrection, comme les soirs précédents : les Camelots ont même un jeu qui consiste à marquer à la craie, par terre, leur plus grande avancée du moment avant le repli devant les charges policières… Ce jour-là, comme les autres, c’est la Chambre des députés qui reste la cible, et non l’Elysée où le Pouvoir réel ne réside pas, en cette IIIe République née de Thiers et de Ferry.

Lorsque la fusillade, provoquée par les forces de l’ordre, éclate en cette soirée du 6 février, l’Action française est en première ligne. Plusieurs de ses membres seront blessés, dont le fondateur des Camelots du roi, le sculpteur Maxime Real del Sarte, mais quatre seront tués.  Alphonse Aufschneider, le Camelot du roi Jules Lecomte, Georges Roubaudi et Costa Cambo. D’autres militants d’A.F. décéderont de leurs blessures, parfois deux ans après : Charles Liévin et le Camelot du roi Raymond Lalande.

Ainsi, l’Action française du 7 février peut-elle titrer : « Après les voleurs, les assassins » et publier, le lendemain, le manifeste du Duc de Guise, prétendant au trône de France, qui s’incline sur les victimes du régime.

Pourtant, la gauche dénonce une tentative de « coup de force fasciste », et agite le drapeau de la « défense républicaine » : absente de la rue durant les semaines qui ont précédé le 6 février, elle trouve dans les événements de quoi remobiliser ses troupes autour d’un thème « consensuel » pour ses partisans, souvent divisés d’ordinaire.

Néanmoins, au-delà du terme polémique (et inapproprié) de « fascisme », certains républicains sont plus explicites dans leurs propos. Ainsi, dans le quotidien de Clermont-Ferrand La Montagne, le député socialiste Varenne s’en prend-il directement à l’Action française : « Le régime républicain traverse les heures les plus graves qu’il ait vécues en temps de paix depuis sa fondation. Le gouvernement légal (celui de Daladier) a été renversé hier par l’émeute. Le palais de la représentation nationale, assiégé par une masse énorme de manifestants furieux, a failli être envahi par l’insurrection. [...]

Ce sont les ennemis de la République, en particulier les royalistes, qui mènent l’opération. Le véritable chef des émeutiers en furie [...] c’est M. Charles Maurras, apôtre de la monarchie et théoricien de l’assassinat. »

Daladier remplacé par Doumergue, l’opinion publique semble s’apaiser : L’Action Française poursuit néanmoins ses campagnes contre la république parlementaire et ses scandales (il y en aura d’autres !). Le quotidien monarchiste a certes recruté de nouveaux lecteurs, mais certains de ses militants, plus activistes que politiques, n’ont pas toujours compris sa stratégie, trop prudente à leurs yeux, et s’en vont se perdre dans des groupes facilement manipulables par la police, comme la « Cagoule », organisation secrète terroriste combattue fermement par l’A.F. D’autres militants d’A.F., au contraire, vont réfléchir à donner une « suite » politique au 6 février : ce sera le cas de Thierry Maulnier, alors véritable « fils spirituel » de Maurras, qui écrit avec Maxence et Francis « Demain la France ».

Mais déjà, confortée par la faiblesse congénitale de la démocratie française et l’insouciance diplomatique de la IIIe République, l’Allemagne nazie prépare « sa » guerre, comme le craignaient (avant même l’arrivée au pouvoir d’Hitler), Daudet et Maurras. Désormais, le principal souci de l’Action française sera de mettre en garde l’opinion publique et les gouvernants face à ce péril grandissant.

Pendant ce temps, la République, qui avait connu une « grande frousse » en ces jours de janvier-février 1934, n’a de cesse de « casser le thermomètre », en signant la dissolution des organisations d’Action française et des Camelots du roi, juste deux ans après le Six Février et en emprisonnant Maurras quelques mois après... « La République gouverne mal, mais elle se défend bien », affirmait en son temps Anatole France : cette formule reste, malheureusement, valable pour tous les temps, d’Eugène Frot à Manuel Valls…

 

07/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (3ème partie : vers une révolution royaliste ?))

Pour en arriver à cette « révolution royaliste » tant espérée depuis la fondation de l’Action française, les Camelots du roi ne ménagent pas leur peine durant tout le mois de janvier : lorsqu’ils ne manifestent pas, ils diffusent dans tout Paris, mais aussi dans les villes de province, le quotidien monarchiste qui voit son tirage augmenter sensiblement, alimentant la contestation par des informations nouvelles et toujours plus, évidemment, accablantes pour le Pouvoir en place, selon la manière dont Pujo et Daudet les présentent. Maurice Pujo lui-même, qui est souvent à la tête des manifestants, montre la bonne maîtrise qu’il a sur les troupes de choc royalistes en n’hésitant pas à négocier, un soir de pluie, avec le préfet de police Jean Chiappe, et à demander aux Camelots, qui lui obéissent, de ne pas manifester ce jour-là. Cela ne peut qu’inquiéter les socialistes qui, dans le Populaire réclament la démission de Chiappe et dénoncent les manifestations royalistes.

Toujours est-il que l’A.F. revendique haut et fort l’entière responsabilité des événements de janvier-février 1934. Sa stratégie d’appel au « pays réel contre le pays légal » semble s’avérer payante, même si tous les éléments ne sont pas exactement réunis pour aboutir à une prise du pouvoir, ce que savent les dirigeants de l’A.F. (ils s’en expliqueront devant la commission d’enquête sur le Six Février, en particulier Maurice Pujo). Quelles sont les limites de l’action des Camelots du roi ? D’abord, il est à remarquer que, malgré quelques agitations à Lille, Nantes, Marseille ou Bordeaux, la province ne s’émeut guère et garde, même si ce sentiment est mâtiné de mépris, un certain attachement à la république, fortement enraciné par les instituteurs de l’école publique ; d’autre part, dans une France encore très catholique, l’A.F. est handicapée par la condamnation vaticane de 1926 : cela la prive du soutien effectif –et parfois affectif, ce qui n’est pas forcément moins important- de ceux qui pourraient aider au changement de régime et favoriser l’implantation de la monarchie.

Enfin, malgré sa position d’initiatrice de la contestation antiparlementaire, l’A.F. doit subir la concurrence de ligues nationalistes qui ne tiennent pas du tout à laisser le pouvoir au Comte de Paris : la Solidarité Française, les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, conseiller municipal de Paris ; les francistes, groupuscule fasciste admirateur de Mussolini ; etc. Un mouvement d’anciens combattants, les Croix-de-Feu, dirigé par le colonel de La Rocque, personnage ambigu, peu favorable aux idées d’A.F. (même si ses frères sont au service du Comte de Paris…), cherche à récupérer le mécontentement des classes moyennes à son profit et avoue vouloir se contenter d’une simple –mais  importante- réforme qui renforcerait le pouvoir exécutif, ce que confirme la publication récente des carnets du « colonel-comte » (l’une des expressions dont l’affuble la Gauche), sous le titre explicite « Pourquoi je suis républicain ». Jouant la carte de la légalité républicaine, il cherche à contourner l’A.F., ce qui lui vaut quelques avanies : lors d’une réunion dans le Quartier latin organisée le 31 janvier par les Croix-de-Feu, La Rocque est vivement interpellé par Jean Wilkin, secrétaire général des étudiants d’A.F., et par Georges Gaudy, l’un des dirigeants du mouvement. La Rocque, contrarié, se voit reprocher son attentisme à l’égard du régime politique tandis que sa propre réunion se termine sur le chant des Camelots du roi !

Les efforts des militants royalistes portent leurs fruits avec la grande manifestation du 27 janvier, fortement encadrée par les Camelots du roi, qui bousculent le service d’ordre policier en de multiples lieux de Paris, malgré l’arrestation préventive de deux cents militants près des différents locaux du journal et du mouvement. Le lendemain 28 janvier, L’Action Française peut chanter victoire et titre : « Paris soulevé a chassé le ministère Chautemps ». Chautemps hors-jeu, c’est Daladier qui le remplace, assisté d’un (presque) nouveau venu dans le jeu politique, Eugène Frot, qui devient ministre de l’Intérieur. Mais rien ne semble pouvoir arrêter la lame de fond de la contestation, et les manœuvres de couloir indiquent bien le désarroi des parlementaires, effrayés d’être ainsi assiégés dans Paris.

Ce succès de l’A.F. (la démission de Chautemps) aiguise un peu plus encore les appétits des autres ligues, jalouses de la « vieille maison » royaliste. Maurice Pujo en est fort conscient, lui qui cherche toujours un « Monk » susceptible de faire basculer la France de République en Monarchie, à l’image de ce général anglais qui avait rétabli cette dernière après la République puritaine de Cromwell, celle-là même qui avait décapité le roi Charles 1er d’Angleterre. Peut-être a-t-il cru le trouver en Jean Chiappe, le si populaire préfet de police de Paris, mais ce dernier est révoqué par Daladier le 3 février... Tout espoir d’un renversement de régime semble alors disparaître... Cela n’empêche pas l’Action française de maintenir la pression, comme s’il s’agissait d’une répétition grandeur nature de ce qui « pourrait arriver » le jour où un nouveau « Monk » se présenterait et assumerait son rôle historique…

 

(à suivre)

 

 

06/02/2014

Le 6 février 1934 vu et vécu par l'Action française. (2ème partie : la réaction au scandale Stavisky)

D’une banale affaire d’escroquerie, « l’Affaire Stavisky » devient un scandale politico-financier qui touche tous les milieux de la République établie, en particulier le parti radical et la franc-maçonnerie, à cette époque très présente dans la vie politique du régime et souvent considérée comme son soutien et son inspiratrice. Léon Daudet, dans son article quotidien de L’Action française, « exécute » les « voleurs », au fil d’une plume plongée dans le vitriol. Le polémiste, jadis lui-même député de Paris de 1919 à 1924, dénonce les mauvaises mœurs parlementaires de la IIIe République et les pratiques policières de celle-ci. Pour définir les politiciens et magistrats touchés par le scandale, il évoque une « bande de traîtres, de voleurs, d’assassins » qu’il s’agit de poursuivre jusque dans « la caverne des brigands », c’est-à-dire le Palais-Bourbon.

C’est justement ce que vont s’engager à faire les Camelots du roi et les militants d’Action française dès le 9 janvier, jour de la rentrée parlementaire mais aussi de l’annonce de la mort, en définitive assez étrange (suicide ou assassinat ? Même Le canard enchaîné doute de la thèse officielle…) de Stavisky. Les Camelots du roi ont l’habitude de descendre dans la rue et d’orienter les manifestations vers des objectifs précis. En ce début janvier, il s’agit donc de dénoncer les « voleurs » et d’en appeler à une « réaction nationale ». C’est le sens de l’appel aux Parisiens publié par Maurice Pujo dès le 7 janvier dans les colonnes de L’Action Française : « Un scandale éclate montrant que la pauvre épargne publique, dont le régime prétendait assurer la protection à si grands frais, est livrée par les pouvoirs mêmes qui en avaient la garde aux rafles colossales d’un métèque escroc. [...]

Il n’y a plus, pour les honnêtes gens dépouillés, de recours auprès d’une magistrature et d’une police complices de malfaiteurs. Il faut que, pour défendre leurs biens avec la propreté du pays, ces honnêtes gens se dressent pour faire eux-mêmes la tâche. »

Les manifestations annoncées ont bien lieu ce 9 janvier : le boulevard Saint-Germain est le théâtre d’affrontements entre les militants d’A.F. menés par Lucien Lacour, vice-président de la Fédération nationale des Camelots du Roi, tandis que d’autres manifestants envahissent la place de la Concorde ou le carrefour Richelieu-Drouot.

Les jours suivants, de nouvelles manifestations, toujours convoquées et menées par l’Action française, ont lieu, de plus en plus importantes et de plus en plus motivées. Les raisons de cette tension persistante et, bientôt, de la montée en puissance de la contestation sont nombreuses : en somme, le scandale Stavisky, avec la découverte de l’escroc et son « suicide » auquel personne ne croit, révèle un climat délétère de corruption au sein même des institutions.

La Chambre des députés est particulièrement concernée et, par contrecoup, visée par la presse monarchiste. Du coup, l’antiparlementarisme, déjà fort répandu dans l’opinion, est fortement revigoré par le scandale qui touche de nombreux élus et d’anciens ministres ou, pire, des ministres en activité... Le président du Conseil lui-même, Camille Chautemps, malgré ses dénégations maladroites, est éclaboussé : d’autre part, en voulant répondre aux attaques de la presse (et en particulier de L’A.F.) par un projet de loi sur la « diffamation », il apparaît comme un « étrangleur » de la liberté d’expression et comme un « camoufleur » de la vérité. D’ailleurs, la réponse de Maurras est immédiate : il menace Chautemps de représailles et ne craint pas une possible descente de police à L’Action Française, comme il le souligne dans sa Politique du 12 janvier : « La perquisition ? Et puis après ? Que peut-elle faire apparaître ? [...] La force de nos vérités. Le courant irrésistible de la révolte... non, de la Révolution nationale. » Le terme fera florès, plus tard et dans de mauvaises (les pires, sans doute) conditions, et sans  combler totalement les attentes du vieux doctrinaire de la Monarchie…

Autre raison soulignée ainsi par Maurras : il ne s’agit pas d’animer une simple réaction épidermique contre des hommes corrompus, mais de dénoncer un régime tout entier, vicié par ses principes mêmes, et, au-delà de cette contestation, d’ouvrir la voie au recours monarchique incarné, de plus en plus visiblement, par le dauphin Henri, Comte de Paris, pressé de renouer avec la France le pacte multiséculaire de la monarchie. Cette stratégie, c’est ce que Jean-Paul Sartre appellera, dans les années 70, « l’illégalité légitime »…

C’est d’ailleurs ce qu’il a indiqué aux dirigeants de l’A.F. de passage au Manoir d’Anjou (lieu d’exil, en Belgique, de la Famille de France). Durant tout le temps des événements, Maurras n’aura de cesse de rappeler que tout serait finalement bien vain si cela ne devait pas aboutir, à plus ou moins long terme, à la monarchie « réparatrice ». Il n’avait, effectivement, que trop raison, comme la suite le démontrera à l’envi…

 

(à suivre)